La Cour de justice de la CEDEAO et la prévention de l’atteinte à l’environnement des peuples autochtones en matière d’exploitation des ressources pétrolières et gazières. Par Abdoul Kader ABOU KOINI

Partout où les ressources naturelles sont exploitées, particulièrement le pétrole et le gaz, il existe une tension permanente entre l’Etat et les populations riveraines.  Celle-ci s’explique en grande partie par les déversements du pétrole qui cause des dommages considérables aux populations en détruisant des cultures et endommageant la qualité et la productivité des terres utilisées par les communauté pour l’exploitation agricole, et contaminant des eaux exploitées pour la pêche, la consommation etc.

Malgré l’existence d’un dispositif juridique régissant l’exploitation du pétrole et du gaz, les Etats et leurs juridictions internes n’arrivent pas à traiter avec célérité les contentieux relatif à l’atteinte au droit du peuple à un environnement sain. Ce laxisme s’explique en vérité par deux raisons fondamentales. D’une part, l’essentiel des instruments juridiques adoptés en matière environnementale n’ont pas un caractère contraignant. Ce sont des textes qui ont un caractère programmatoire, déclaratif ou préventif, bref, qui relève de la soft law, du droit mou. Par exemple, la Conférence des Nations unies sur l’environnement du 5 au 16 juin 1972 ou déclaration de Rio de 1992 précise en des termes génériques les obligations des Etats selon les termes suivants : « les Etats devront prendre toutes les mesures pour empêcher la pollution des mers, de l’eau… ». D’autre part, il y a un manque de volonté politique manifeste pour faire appliquer les textes nationaux et internationaux qui contrariaient de puissants lobbys.

Face à une telle situation, les juridictions internationales des droits de l’homme se proposent de plus en plus comme des voies de recours ultime aux victimes. En Afrique, il s’agit particulièrement des juridictions  les plus actives, notamment la Cour de justice de la CEDEAO et la Cour ADHP. Le Sénégal figure parmi les Etats qui n’ont pas la déclaration prévue à l’article 34 (6) du Protocole sur CADHP qui donne la possibilité aux individus et ONG d’introduire des recours contentieux. La Cour de justice la CEDEAO, peut combler ce vide en jugeant et sanctionnant au niveau supranational des cas de violation   du droit des peuples autochtones à un environnement sain par l’Etat. D’où la pertinence d’une telle réflexion sur la thématique suivante : « la Cour de justice de la CEDEAO et la prévention de l’atteinte à l’environnement des peuples autochtones en matière d’exploitation des ressources pétrolières et gazières ».

Il est important pour un souci méthodologique avant d’analyser la question au fond de procéder à quelques précisions terminologiques. Il s’agit notamment de donner un contenu à la notion de l’environnement, de la pollution et des peuples autochtones.

Selon l’institut de droit international notamment la  résolution du 4 septembre 1997 à son article 1 : « l’environnement comprend les ressources naturelles biotiques et abiotiques, notamment l’air, l’eau, la terre, la faune et la flore, ainsi que l’interaction entre ces mêmes facteurs ». La Cour International de Justice(CIJ) précise dans son avis consultatif du 8 juillet 2006, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires que : « L’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace ou vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et de leur santé, y compris pour ces générations à venir ». Donc en raison de l’extraction des ressources pétrolières et gazières cet environnement pourrait-être pollué.

La pollution  renvoie à tout ce qui altère notre environnement ou notre santé, habituellement sous forme de substances, mais aussi sous forme d’ondes. La pollution s’attaque à l’air, à l’eau, au sol, à nos oreilles, à nos yeux etc. Cette atteinte cause naturellement des dommages aux peuples autochtones.

S’agissant de la notion  des peuples autochtones, il est important de prime abord de définir ce qu’on entend par peuple.  Lorsqu’elle a été sollicitée pour répondre à la question de savoir si le peuple du Québec doit s’entendre de l’ensemble de la population permanente de ladite province ou s’il s’agit uniquement des francophones établis dans cette province, la  Cour suprême du Canada précise que cette notion peut viser aussi bien la population hétérogène d’un Etat que des groupes de population spécifique identifié par leur culture. Selon Olivier Nay le peuple est une « Communauté historique vivant sur un territoire et partageant un sentiment d’appartenance commune »[1].   

La définition la plus acceptée des peuples autochtones est celle donnée par José Martinez Cobo. En effet, ce dernier, rapporteur spécial de l’ONU, dans son importante étude sur les populations autochtones, proposera, en 1982, une définition qui met en exergue un certains nombres d’éléments[2]. Il s’agit d’abord de l’« Antériorité ». Ainsi, les peuples autochtones sont les descendants des peuples qui habitaient un territoire au moment où d’autres peuples venant d’autres régions du monde s’y sont installés, instaurant un rapport de domination. Ensuite, la culture est un autre élément d’identification des peuples autochtones. En effet, ces peuples se distinguent de la culture dominante par leurs langues, leurs traditions et leurs coutumes. En enfin, le dernier élément est « l’Auto- identification ». Ainsi, les Autochtones se définissent eux-mêmes comme des peuples à part entière, et souhaitent  établir eux-mêmes les critères d’identification de leurs membres, ce qui implique un rejet des critères définis  exclusivement par l’État (ONU, 1982). Dans ces travaux, la particularité culturelle et la marginalisation sociale et économique des peuples autochtones, c’est à la discrimination de la part de l’Etat et l’existence d’un statut particulier reconnus aux peuples sont les traits qui permettent de les identifier par rapport au reste de la population[3].

            Le peuple autochtone est différent de la population autochtone. En effet, le peuple autochtone renvoie à une communauté vivant sur un territoire bien déterminé partageant des valeurs communes, une même  culture et souvent une même langue. Ce peuple doit faire l’objet d’une discrimination, ce qui nécessite une protection particulière de la part de l’Etat. Tandis qu’une population autochtone désigne l’ensemble des habitants vivant sur un territoire pendant plusieurs années avant l’arrivé d’autres communautés. L’existence d’une discrimination, persécution ou une culture commune ne sont pas des éléments déterminant pour définir une population autochtone. 

Dans la pressente étude, le peuple autochtone renvoie à une communauté vivant sur une portion du territoire national, particulièrement dans les localités où les ressources pétrolières et gazières sont exploités. A la différence des Etats ayant connu une colonisation du peuplement tel que le Canada, en Afrique particulièrement dans la partie occidentale la discrimination ne n’est pas née d’une occupation extérieure mais d’une politique discriminatoire mise en œuvre par l’Etat post- indépendance.

Notre présentation se portera sur les dommages environnementaux individuels et  collectifs qui produisent leurs effets à l’intérieur des frontières nationales, ce qui nous permet d’exclure les dommages transfrontaliers qui peuvent relever du contentieux international devant la CIJ[4].

Cette communication vise à éclairer les ONG, les individus, qui seront éventuellement victimes de pollution, sur l’existence des voies de recours supranationales en cas d’atteinte au droit des peuples à un environnement sain, et que les Etats se sont avérés laxistes à prévenir cette atteinte.  Cette communication s’appuiera sur l’arrêt n°ECW/CCJ/JUD/18/12,  SERAP contre la République fédérale du Nigeria du 14 décembre 2012, qui reste la seule affaire jugée au fond par la Cour en matière de violation des normes environnementales. 

            Une telle étude permettra de faire connaitre le dispositif normatif qui encadre l’exploitation des ressources minières, pétrolières et gazières, notamment l’obligation qui pèse sur les multinationales de réduire au maximum les risques de pollution. Ensuite, ce travail contribuera à développer chez les ONG et les individus le réflexe d’intenter des procès contre les multinationales devant les juridictions internationales, particulièrement la Cour de justice de la CEDEAO, en cas d’atteinte à l’environnement, lorsque les juridictions internes s’avèreront incompétentes.

Quel est alors le rôle de la Cour de justice de la CEDEAO dans la protection du droit des peuples autochtones à un environnement satisfaisant, en tant que droit de l’homme ?

Le paradoxe en Afrique est que les droits de l’homme  sont constamment violés dans la plupart des pays[5], alors même que de belles et ambitieuses constitutions les proclament un peu partout comme le fondement des sociétés civilisées. Le juge d’Abuja tente de rectifier le tir dans l’espace de CEDEAO en assurant la défense de tous les droits et libertés, qu’ils soient civils ou politiques, économiques ou sociaux, qu’ils soient de la 1er, deuxième ou 3eme génération.

Cette Communication se fera sur deux axes. Nous verrons dans un premier temps, l’engagement de la responsabilité de l’Etat en cas de défaillance dans la prévention des dommages à l’environnement des peuples autochtones (I) et dans un second temps, nous allons aborder l’alignement de  la Cour de justice de la CEDEAO au mouvement juridictionnel en faveur de la protection des citoyens contre la violation des normes environnementales à travers l’emprunt jurisprudentiel et  l’octroi  des mesures de réparation (II).

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Par Abdoul Kader ABOU KOINI,

Docteur en droit public de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis,  Assistant vacataire, chargé des travaux dirigés

 

[1] Selon Olivier Nay, Lexique de science politique : Vie et institutions politiques, Ed. 4, Dalloz, 2008.

[2]José Martinez Cobo  cité par Thierry Rodon, Les apories des politiques autochtones au Canada, Presses de l’Université du Québec, 2019,p.8.

[3] Ibidem.

[4] CIJ Arrêt du 25 septembre 1997 Nagimaro, Rec., pp. 77-78, point 140.

[5]Le 25 juin 2022, Amnesty International, le Centre de promotion, de développement et de défense des droits humains et l’Association des barreaux d’Afrique de l’Ouest ont présenté une  situation peu reluisante des droits humains en Afrique de l’Ouest devant le Parlement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).  Selon Amnesty international, « des besoins pressants en matière de protection de ces droits dans la région existent avec la persistance des situations de conflit et d’insécurité des populations, des violations des droits économiques et sociaux, de discrimination et de violence fondée sur le genre et de restriction de l’espace civique ». Cette situation de remise en cause des droits de l’homme est perceptible dans les 15 Etats membres, notamment,  le Niger, le Mali, le Nigeria et le Burkina Faso qui traversent une crise sécuritaire avec ses conséquences sur violation des lesdits droits. De même, dans certains Etats relativement stable tels que le Sénégal, le Benin le Ghana marqués par des troubles et des manifestations de rue, on note souvent la violation des droits de l’homme. D’autres Etats vivant sous des régimes faiblement démocratiques tels que le Togo et  la Gambie ont été régulièrement  dénoncés pour violation des droits de l’homme par les organisations non gouvernementales.

 

 

 

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