Le débet sans préjudice ne porte-t-il pas préjudice ? Par Mafall FALL

« Condamner le comptable public au montant global d’une opération irrégulière sans aucun préjudice subi par l’État ou l’organisme public, interpelle ! ».

 Propos introductifs :

Au Sénégal, l’histoire de la comptabilité publique est à rechercher bien avant les indépendances. En effet, la comptabilité publique africaine, moderne et post-coloniale est l’héritière de la comptabilité publique qui était en vigueur dans les colonies françaises en Afrique, notamment celles qui composaient les deux (2) blocs que sont : l’ex-Afrique Occidentale Française (AOF) et l’ex-Afrique Équatoriale Française (AEF), auxquelles il convient d’ajouter le Togo et le Cameroun[1].

Parmi les innombrables textes pris dans ce sillage, il faut noter le décret du 30 décembre 1912 portant régime financier qui va régir la comptabilité publique des nouveaux États africains indépendants. Ce décret de 1912 n’a été abrogé au Sénégal, qu’en 1966 avec l’adoption du décret n° 66-458 du 16 juin 1966 portant règlement sur la comptabilité́ publique de l’Etat.

Mais c’est le décret n°2003-101 du 13 mars 2003, pris en transposition de la directive n° 06/1997/CM/UEMOA du 16 décembre 1997 portant Règlement général sur la Comptabilité́ publique modifiée, qui va tresser le périmètre actuel de la comptabilité publique.

En ce qui concerne l’organisation des services dédiés à la comptabilité publique, C’est le Décret n°60-01 du 20 août 1960, portant création d’un Service du Trésor du Sénégal qui marqua le début d’une longue évolution. Ce service était dirigé par un Trésorier général « comptable supérieur et comptable principal ».

Soulignons que ces reformes relatives aux structures chargées d’appliquer la comptabilité publique n’ont pas laissé intact l’acteur principal qui demeure le comptable public.

A ce propos, « Les comptables publics sont des agents publics ayant, dans les conditions définies par le présent décret, la charge exclusive de manier les fonds et de tenir les comptes de l’État ou d’un organisme public. [2] ».

La Cour des comptes en donne une définition plus élaborée comme suit : « Est comptable public tout fonctionnaire ou agent ayant qualité pour exécuter au nom d’un organisme public des opérations de recettes, de dépenses ou de maniement de titres, soit au moyen des fonds et valeurs dont il a la garde, soit par virements internes d’écritures, soit par l’entremise d’autres comptables publics ou de comptes externes de disponibilités dont il ordonne ou surveille les mouvements »[3]

Cette lourde charge publique, portant sur les deniers appartenant à tous, a pour corollaire un contrôle rigoureux de la part du juge des comptes.

Etymologiquement, le terme responsabilité vient du latin « respondere » qui signifie « répondre de ». Le droit romain connaissait le « sponsor », c’est à-dire le débiteur et le « responsor » qui en était la caution, ou celui qui répondait de lui.

La responsabilité en droit de la comptabilité publique, comme ailleurs, s’analyse comme la mise à la charge d’un sujet de droit, d’une obligation de réparer les conséquences d’un dommage dont il a donc à « répondre ».

La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics sénégalais remonte de loin car il est hérité de la France où il existait déjà à l’époque où le principe de l’irresponsabilité des fonctionnaires de l’Etat était posé par la jurisprudence[4].

Du latin « debet » le débet signifie en Français « il doit ». La personne « qui doit » devient débitrice d’une créance envers l’État s’il s’agit évidemment de deniers publics.

Par ce présent, il s’agit d’opiner sur le mode de sanction ou de réparation attaché au manquement professionnel d’un comptable public qui affiche un compte irrégulier.

Dans cette optique, si l’opération de recette ou de dépense s’avère non conforme à la règlementation et s’il n’existe pas de manquant ou de préjudice, devrait-on condamner le comptable au remboursement du montant intégral de l’opération querellée ?

Le manquement sanctionne le manquant.

C’est là toute l’épineuse problématique des débets sans préjudice qui pourraient placer l’État ou l’organisme public dans une situation d’enrichissement sans cause en cas de paiement par le comptable du montant global de la condamnation.

Ce sujet d’actualité interpelle le juge des comptes et le comptable public. Ainsi, nous pensons utile de faire le tour des caractères de cette responsabilité (notre première partie) avant d’analyser les contours du débet sans préjudice qui peut s’afficher tantôt comme une réparation ou une sanction (notre deuxième partie).

 

Cliquer ici pour télécharger l’intégralité de la Contribution « article débet echos finances »

 

Par Mafall FALL

Magistrat hors-hiérarchie

[1] Serigne Amadou Sèye, Inspecteur du Trésor principal de classe exceptionnelle à la retraite dans l’article « l’évolution de la comptabilité publique au Sénégal de l’ère précoloniale à l’avènement de la première génération de directives de l’UEMOA » paru dans Le Trésor Public n°2, avril 2019, page 4-9.

 

[2] Art. 24  du  Décret n° 2020-978  portant Règlement Général sur la Comptabilité Publique.

[3] Art.29 LOI ORGANIQUE N° 2012-23 DU 27 DECEMBRE 2012 ABROGEANT ET REMPLAÇANT LA LOI ORGANIQUE N° 99-70 DU 17 FEVRIER 1999 SUR LA COUR DES COMPTES

[4]  P.-M. Gaudemet, Finances publiques, Montchrétien, Paris, 1977, p. 399.

 

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Faits tenus pour criminels selon les règles du droit international : réflexions sur un aspect de la décision N° 1/C/2025 du 23 avril 2025. Par Elisabeth Ndew DIOUF

L’élection Présidentielle et les élections législatives de 2024 ont contribué à mettre le Conseil constitutionnel du Sénégal sous les feux de la rampe. Souvent critiqué pour son œuvre jurisprudentielle, le Conseil est qualifié désormais de sentinelle ayant sauvé la...

Quelques perspectives de lutte contre la criminalité transnationale organisé en Afrique de l’Ouest. Par Dr OUSMANE MAHAMANE Boubacar 

Au cours des deux dernières décennies, les crimes violents ont progressé de manière dramatique en Afrique de l’Ouest allant des vols à mains armées, aux atteintes à l’intégrité et aux vies humaines ou encore à la Criminalité Transnationale Organisée (CTO) de...

Propositions pour une consolidation de l’Etat de droit au Sénégal : Nécessité d’une responsabilité pénale effective du Chef de l’Etat, des membres du Gouvernement, des députés et des magistrats. Par Mamadou Doudou SENGHOR

La Constitution du Sénégal proclame, dans son préambule, « le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale ». L’état de...

Les rapports l’AES et la CEDEAO : analyse sur l’application d’un nouveau droit international. Par MOUTARI LAWALI Maman Lawali

Résumé : L’Alliance des Etats du Sahel a été formée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger en septembre 2023 en réponse aux tensions existant entre d’une part les régimes militaires de ces trois Etats et d’autre part le reste de la Communauté des Etats de...

LE CONTRÔLE INFORMATIQUE DES PARRAINAGES À l’ÉLÉCTION PRÉSIDENTIELLE AU SÉNÉGAL : ENTRE LA LOI ET LES ALGORITHMES. Par Elisabeth Ndew DIOUF

INTRODUCTION : Le parrainage est défini en matière électorale comme le soutien officiel apporté par des électeurs et/ou des élus à un candidat pour lui permettre de se présenter à une élection. Perçu comme un baromètre de la représentativité, il a été institué par le...

LE CONTROL DE CONSTITUTIONNALITÉ PAR VOIE D’EXCEPTION EN RÉPUBLIQUE DE DJIBOUTI : ACTEURS, OBJETIFS ET PROCÉDURE. Par AHDON Abdillahi. 

INTRODUCTION Les réformes constitutionnelles des années 1990 et 2000 en Afrique subsaharienne, et principalement dans les pays francophones, constituent une référence dans les analyses sur les systèmes juridiques, jurisprudentiels et des systèmes politiques. De...

Les institutions sécuritaires ouest-africaines face à la criminalité transnationale organisée. Par Dr. OUSMANE MAHAMANE Boubacar

La perméabilité des institutions nationales à la corruption, les frontières poreuses, les lacunes structurelles concernant la surveillance du territoire et le non-respect des lois ainsi que le manque de financement et de coordination entre services et pays sont autant...

Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001.

Version consolidée avec la loi n° 2024-15 du 19 décembre 2024 portant révision de la Constitution Cliquez ici pour télécharger la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 mise à jour 2024 Par Meïssa DIAKHATE, Agrégé de Droit public

Le bruit et les finances publiques au Sénégal. Par Issoufou ADAMOU & Modou BEYE

« L’argent n’aime pas le bruit ». Cette maxime attribuée à Alassane Ouattara[1] renvoie à l’idée selon laquelle l’argent préfère les environnements calmes, propices à la concentration et à la productivité. Elle postule que les transactions financières...

Diagnostic du Traité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Par Mafall FALL

Propos introductifs :  La morosité et la stagnation de l’économie de la sous-région de la zone Franc au début des années quatre-vingt-dix ont incité les chefs d’État à se réunir en avril 1991, à Ouagadougou, au Burkina Faso, avec les ministres des Finances de la Zone...