INTRODUCTION
Les réformes constitutionnelles des années 1990 et 2000 en Afrique subsaharienne, et principalement dans les pays francophones, constituent une référence dans les analyses sur les systèmes juridiques, jurisprudentiels et des systèmes politiques. De nombreux africanistes (Amadou, 1995 ; Quantin et al. 1996 ; Holo, 2006) ont, dans leurs analyses, conclu rapidement à l’instauration de régimes démocratiques, et ce à la suite de l’adoption des constitutions dites libérales, suivies par l’organisation des premières élections législatives et présidentielles libres et pluralistes. Alors que pour d’autres auteurs comme Zaïki Laïdi (1994)[1] les pays africains se trouvaient dans une transition ou la sortie de régimes autoritaires comme les vagues de démocratisation des régimes d’Europe méridionale (Espagne, Grèce et Portugal à la fin de la décennie 1970) et de l’Amérique du Sud au début des années 1980 suivant l’analyse d’O’Donnell Guillermo (1986).
Au-delà de cette opposition, la principale nouveauté dans les processus de changement politique en Afrique en termes juridiques réside davantage dans la constitutionnalisation des droits et libertés que l’adoption de constitutions, qui ne sont dans la plupart des cas qu’une « feuille de vigne[2]« , lesquelles ne s’accompagnent pas d’une nouvelle culture politique, selon le politologue Jean François Bayart. Pour Philipe Ardant (1998 : 61-84), les constitutions sont plus qu’un texte politique. Il affirme que « les constitutions contiennent normalement des dispositions qui font référence aux libertés ; la constitutionnalisation est un phénomène universel ; la déclaration des droits et libertés s’impose aux constituants ».
Cependant, une telle constitutionnalisation ne peut être efficace sans une autre constitutionnalisation, et c’est à juste titre que Luis Prieto Sanchez (2004 : 47-72) insiste lorsqu’il affirme que « la constitutionnalisation du système n’est pas une qualité « tout ou rien », quelque chose que l’on a ou que l’on n’a pas du tout, mais se configure comme un processus qui admet des degrés ou des intensités, et ce que j’ai appelé la constitutionnalisation des droits représente sa plus haute expression ». Car le combat pour la démocratie pluraliste est indissociable du respect et de la protection juridique des droits fondamentaux. Or, c’est le pouvoir politique, le pouvoir constituant, qui décide et détermine les droits et libertés reconnus à la personne humaine ; la vitalité d’un système judiciaire dépend de la mise en œuvre concrète de ces libertés, c’est-à-dire qu’il protège par l’interprétation des dispositions constitutionnelles et des traités et conventions internationaux qui prévoient ou étendent les droits et libertés déjà existants. À l’instar d’autres pays du monde, lorsque les dirigeants africains ont adopté des régimes autoritaires à la fin des années 1980, basés sur des constitutions de papier sans aucun effet politique et des libertés congelées.
Cependant à la fin des années 1980, la liberté d’expression et une constitution libérale reconnaissant les droits et libertés congelés ont été considérées comme des éléments importants de la nouvelle vie politique. Cependant depuis les indépendances, un lien est établi entre culture, développement et démocratie dans les pays africains. C’est de manière péjorative que ce lien est analysé par les auteurs occidentaux (Bauchamp, 1997) concernant les pays africains.
Les dirigeants politiques l’utilisent comme un argument juridico-politique pour défendre le nouveau contexte socio-politique contre des opposants tels que les guérillas dans certains pays, ou comme un argument pour dénoncer la violence du cadre constitutionnel existant par le gouvernement ou le parti au pouvoir. C’est un texte qui pose et organise des limites aux activités des pouvoirs politiques. Mais il est possible et acceptable que tous les acteurs la reconnaissent comme une norme suprême. C’est à juste titre que Francisco Rubio Llorente (2004 : 11-33) affirme que « la suprématie de la constitution oblige toute l’activité des pouvoirs publics à être orientée vers sa réalisation et affecte par conséquent non seulement les moyens que le pouvoir utilise, mais aussi les fins qu’il propose ». En fait, par la limite qu’«il impose» à l’action des acteurs.es et institutions politiques par le respect du droit, mais aussi un consensus des forces politiques, le constitutionnalisme, la suprématie est un moyen d’arriver ce consensus. Mais le constitutionnalisme fut un terme en vogue dans les analyses juridiques et politiques au moment fort des changements constitutionnels. Mais qu’est-ce qu’est-ce concept ? Pour Jean-Louis Kangashe (2010 : 19), il «est difficile à définir tant son étymologie n’est pas comme dans la terminologie juridique et politique. L’absence d’une définition et donc d’un contenu unique pour un concept fréquemment utilisé en droit constitutionnel et en science politique témoigne du caractère fondamental et des enjeux qu’il procure dans l’avènement de la démocratie et la protection de la constitution».
Par l’affirmation d’un constitutionnalisme nouveau, on peut dire qu’il y a un développement d’un nouveau droit constitutionnel et une justice constitutionnelle renouvelée dans beaucoup de pays (Mayacine, 1996).
Cette modeste réflexion se propose d’analyser un recours introduit par la nouvelle constitution djiboutienne de 1992 : le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception. Elle n’émerge pas soudainement ou par la volonté des juges, mais s’appuie sur un contexte historique et politique non seulement d’un pays, mais aussi d’un contexte plus large, d’un groupe de pays en transition vers un régime pluraliste et démocratique. La première partie traitera le contexte, qui fut à l’origine de ce changement, la seconde partie examinera l’effectivité du nouveau constitutionnalisme et l’état de droit et enfin la troisième partie analysera la mise en œuvre et les implications juridiques de cette situation.
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Par AHDON Abdillahi
[1] L’auteur a mis en garde contre une confusion en affirmant qu’«on a (…) eu tendance à prendre toutes les aspirations à la libération pour des aspirations démocratiques en jugeant transitoire ce que Pierre Rosanvallon appelle la «dissymétrie démocratique», autrement dit le décalage entre le développement d’une contestation politique menée au nom de la démocratie et la construction démocratique », p.57.
[2] Expression de Jean-François Bayard, citée par Jean Du Bois de Gaudusson, «Les nouvelles constitutions africaines et le mimétisme», in La création du droit en Afrique, Bois de Gaudusson du J. et Darbon D., (Dir), Paris, Karthala, 1997. L’illustration “feuille de vigne” pour désigner les constitutions africaines est en fait une critique contre le non-respect de la loi fondamentale par les Présidents, élus avant et après les réformes constitutionnelles, mais qui ont modifié des dispositions substantielles sur la question du mandat présidentiel.
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