Le pouvoir d’injonction du juge constitutionnel en Afrique noire francophone

Publié par les Annales africaines, Nouvelle Série, Vol. 1, Avril 2019,  n° 10, pp. 37-78.

La coexistence, dans la jurisprudence constitutionnelle africaine, des modèles de décisions typiques – le diptyque traditionnel de l’annulation ou du rejet – et des formes atypiques d’intervention du juge – l’injonction – interroge sur les transformations contemporaines de l’office du juge. Le champ de la production normative n’est plus étranger aux nouvelles figures du contentieux constitutionnel qui se singularisent par l’intervention du juge constitutionnel dans l’adoption et l’exécution de la norme. A ce titre, les réserves d’interprétation prescriptives, les décisions d’annulation partielle qui entraînent une obligation de rectification de la norme, les décisions d’abrogation différée assorties d’une indication du contenu ou du sens de la norme, à l’instar de l’injonction, se définissent globalement par la participation du juge à la réécriture ou au complément de la norme. Ces formes d’intervention, qualifiées de positives par la contribution du juge dans le processus normatif, rompent avec la théorie kelsénienne du juge législateur-négatif qui a façonné le contentieux constitutionnel autour du diptyque traditionnel susmentionné.

Dans son acception large, l’injonction renvoie à un ordre, une prescription, un commandement émanant d’une autorité, en l’occurrence juridictionnelle. Dans son sens étroit, en droit judiciaire privé, la notion est duale en ce qu’elle se décline en une obligation de faire – l’exécution des obligations contractuelles dans les délais et les conditions déterminées par le juge – et une obligation de payer destinée au débiteur en vue de l’acquittement d’une dette. Dans le contentieux administratif, elle se caractérise par l’imposition, dans l’intérêt des parties, de mesures d’exécution dans un sens déterminé ou, plus rarement, l’adoption à nouveau d’une décision après une nouvelle instruction. La technique permet résolument au juge d’assumer l’administration de ses propres décisions. Naturellement, cette prérogative prétorienne achoppe sur la théorie classique du juge constitutionnel législateur-négatif. Par conséquent, son intégration dans le contentieux constitutionnel est non seulement atypique en soi mais concrétise la mutation de la nature de l’office du juge. En effet, l’injonction, dans le contentieux constitutionnel, est significative d’un pouvoir de décision revêtu d’un titre exécutoire que le débiteur – législateur ou pouvoir exécutif –, dans le délai imposé, s’astreint à réaliser en se conformant au sens que le juge aura unilatéralement déterminé. D’une part, lorsqu’elles sont adressées au législateur, les injonctions renferment des « habilitations dotées d’un caractère obligatoire (…) pour la production de normes législatives futures ». Au demeurant, une propriété injonctive transparaît dans les mesures provisoires consistant, à partir d’un constat d’inconstitutionnalité, à moduler temporairement par des règles prétoriennes des situations relevant du législateur et dans l’attente de l’intervention de celui-ci. La pratique est fréquente en Allemagne. Un droit transitoire jurisprudentiel se substitue dès lors à la norme contestée muant l’office du juge en une sorte de pouvoir législatif auxiliaire. D’autre part, les injonctions adressées à l’exécutif sous-tendent la manifestation, pour le moins iconoclaste, d’une prescription qui vise à adopter ou corriger un comportement dans un délai déterminé.

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Par Sidy Alpha NDIAYE

Université Cheikh Anta DIOP

Faculté des Sciences juridiques et  politiques

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