L’ENTRETIEN DU SEMESTRE

 Avec…

Philippe Bacoumba FAYE

Spécialiste en passation des marchés

Chef de l’Unité du GES-PETROGAZ

          Ministère sénégalais du Pétrole et des Energies

Mail : philbacs@gmail.com

Bonjour Monsieur FAYE, Vous êtes juriste de formation et spécialiste en passation des marchés. Pouvez-vous en quelques phrases nous dire ce qui vous a lié aux marchés publics ?

J’ai embrassé les marchés publics depuis le début de ma carrière dans la Fonction publique dans les années 2000. C’est ce qui m’a permis d’expérimenter la presque totalité des activités liées au métier : comptables des matières, gestionnaire, Président Commission de Marché, Coordonnateur de Cellule de Passation de marché, contrôleur, auditeur, formateur en passation de marchés…

Le Sénégal est un des pays les mieux côté en matière de Commande publique en Afrique. En quoi est due cette prouesse ?

La place de Sénégal en matière de Commande publique en Afrique tient au dynamisme de ses ressources humaines mais aussi à son organisation institutionnelle ainsi que son cadre législatif et réglementaire.

Vous en tant que professionnel dans les Marchés publics avez-vous des contraintes par rapport à l’application des règles de la Commande publique ?

La passation et l’exécution des marchés publics vont de pair avec la notion de contrainte. Ces deux processus impliquent une série de choix à opérer mais dont les différents paramètres sont généralement inconnus du décideur : on décide d’une méthode de passation d’un marché sans être sûr qu’elle est la plus optimale.

Le cadre juridique des marchés publics n’échappe pas à cet aléa. En effet, le domaine des marchés publics qui est très vaste est sujet à des évolutions fréquentes. Son cadre législatif et réglementaire doit proportionnellement être très détaillé et constamment mis à jour ; Ce qui n’est pas le cas.

Avec le code de 2014 les DSP[1] et les marchés publics sont régis par le même texte portant CMP[2]. Mais la réforme des PPP[3] tout récemment (Loi 2021-23 du 02 mars 2021 relative aux contrats de partenariat public-privé) a vu intégré les DSP dans le même texte que les PPP. A votre avis les DSP se rapprochent-elles plus des PPP que des Marchés publics ?

Au regard des dispositions du Code des marchés publics de 2014 dont vous faites allusion et qui définit le marché public comme un « contrat écrit, conclu à titre onéreux par une autorité contractante pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, ou à des besoins combinant ces différentes catégories » les DSP sont de véritables PPP. Cette similarité des DSP aux PPP est plus mise en exergue dans leurs processus respectifs de mise en œuvre.

Le fait d’avoir les mêmes organes de contrôle dans la Commande public ne justifie-t-il pas l’utilité d’unir tous les textes dans un seul et unique document dénommé code de la Commande publique ?

Une réflexion peut être ouverte dans ce sens et des arguments objectifs peuvent être fournis pour étayer une position positive ou une position contraire.

Je reste, cependant, convaincu que le cadre institutionnel actuel impulsé dans le contexte de la réforme communautaire du sous-secteur des marchés publics, n’est pas adapté à la conclusion des contrats de DSP ou de PPP. Cette organisation est, du reste, moins efficace pour la phase contrôle aussi bien de la passation que de l’exécution des PPP et DSP.

Ce qui est théoriquement écrit dans le CMP est-il techniquement praticable dans un système où on prône le Fast-track c’est-à-dire la rapidité et l’efficience ?

Il y a un grand déphasage entre les dispositions du CMP et leur application effective dans le travail quotidien des acteurs de la passation des marchés. Le pire c’est qu’il arrive que le CMP entre en conflit avec certains de ses principes telles que l’efficacité ou l’efficience.

Pour plus de rapidité dans les procédures de passation des marchés publics, les autorités contractantes doivent être d’avantage responsabilisées au détriment des organes de contrôles qui ne comprennent pas toujours les intérêts en jeu.

Les règles de la Commande publique au Sénégal ne sont-elles pas contraignantes pour les autorités contractantes ?

Après plus d’une dizaine d’années de mise en œuvre de la réforme du sous-secteur des marchés publics, il serait souhaitable qu’une évaluation soit faite pour permettre une capitalisation des acquis mais aussi, le cas échéant, une réadaptation de certaines procédures ou l’amélioration de certaines pratiques.

Pour le cas du Sénégal, la politique de formation et de renforcement des capacités initiée par l’ARMP depuis les années 2008, a abouti au constat que les agents de certaines autorités contractantes sont aussi bien, voire plus outillés, que les équipes des organes de contrôle, en matière de maitrise des procédures et principes de passation des marchés.

La part des PME[4] dans l’octroi des MP[5] est-elle significative si non, que suggérez-vous aux autorités sénégalaises pour promouvoir la compétence locale voire l’auto entreprenariat ?

La question de la promotion des PME PMI s’est souvent posée et continue à faire débat. Globalement le cadre législatif et réglementaire du secteur des marchés publics au Sénégal a bien pris en compte ces aspects notamment à travers les mécanismes de préférence ; la fréquence d’utilisation de ce mécanisme est presque nulle du reste.

L’encadrement des procédures des Demandes de Renseignement et de Prix (DRP) participe également, dans une certaine mesure, à la promotion de ces PME PMI.

Aujourd’hui, la problématique des entreprises locales doit s’analyser à l’aune de leurs capacités à s’organiser et à s’associer pour pouvoir capter des opportunités de marchés publics encore plus consistantes.

Quel rôle jouent les organes de contrôle dans l’architecture de la Commande publique ?

Le rôle des organes de contrôle est d’une importance qui n’est plus à prouver. Nul besoin de revenir dans le détail des missions qui leur sont confiées : contrôle a priori – contrôle à postériori ou encore régulation du secteur – contrôle de la légalité…

Je parlais plus haut de la large politique de formations et de renforcement des capacités développée par l’ARMP du Sénégal au début de la réforme. Parallèlement la Direction centrale des Marchés Public (DCMP) a eu un effet très positif sur le processus de maitrise des procédures par les différents acteurs mais aussi sur le développement de certains outils ainsi que l’assainissement global du secteur.

Le contrôle juridictionnel des Marchés publics est tributaire d’une phase administrative préalable dans la passation des marchés publics, cela n’est-il pas une entrave à l’accès au juge de l’administration ?

Les procédures des marchés publics se conjuguent difficilement avec celles judiciaires. L’intervention du juge n’est d’ailleurs pas souhaitable en la matière et c’est pour cette raison que bien d’autres mécanismes ont été aménagés dans l’optique d’une plus grande efficacité mais aussi et surtout pour éviter que les lenteurs judiciaires.

Les DRP[6] et l’AOO[7] sont les deux modes de Passation des marchés que vous utilisez qu’est-ce ce qui les différencie et leur pertinence ?

C’est le principe de la subsidiarité qui veut que les choses soient exécutées aux niveaux et par les acteurs les mieux adaptés. Quand la réglementation prône la simplification d’une procédure elle le fait en fonction du degré de complexité de l’activité ciblée. La responsabilisation des autorités contractantes peut passer par l’aménagement de ces simplifications à leurs profits.

Quelle appréciation faites-vous de votre réglementation de la commande de publique ?

La réglementation de la commande de publique est exhaustive et bien structurée. Mais elle gagnerait à être réadapté plus fréquemment.

Votre dernier code des MP date de 2014 n’est-il temps de l’améliorer ?

Il est temps d’améliorer ce code et avec lui le cadre institutionnel mais le préalable à ces modifications est la reprise des Directives de l’UEMOA en la matière. La réflexion doit être menée au niveau communautaire.

Propos recueillis par

Marc Bernard THIAW

Juriste spécialiste en marchés publics – responsable Passation des Marchés des Centres d’Excellence Africain de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar (CEA/UCAD),

Pour le compte de la RADCP.

[1] Délégations de service public

[2] Code des marchés publics

[3] Partenariats Public-privé.

[4] Petites et moyennes entreprises.

[5] Marchés publics.

[6] Demandes de renseignements et de prix

[7] Appel d’offres ouvert.

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SOMMAIRE

AVANT-PROPOS John Eric DICKA ÉQUIPE DE LA REVUE ÉDITORIAL Jean-Marc PEYRICAL L’ENTRETIEN DU SEMESTRE Avec…Philippe Bacoumba FAYE COMMENTAIRES ET ANALYSES DE DÉCISIONS La Cour suprême sénégalaise et l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) à la commande...

AVANT-PROPOS

La perspective de développement s’est affichée tant en Occident qu’en Afrique avec beaucoup d’acuité au cours de ces dernières années, s’illustrant pour les uns comme un but à atteindre et pour les autres comme un cap à maintenir. Avec le vent de la libéralisation qui...

ÉQUIPE DE LA RADCP

COMITÉ SCIENTIFIQUE       o   ABANE ENGOLO Patrick Edgard Agrégé des facultés de droit, professeur titulaire - Université de Yaoundé II-Soa, Directeur du CERCAF o   ADAMOU Issoufou Maitre de Conférence –Université Cheikh Anta Diop de Dakar o   BADARA FALL...

ÉDITORIAL

DES INTÉRÊTS DES CONTRATS PUBLICS ET DE LA COMMANDE PUBLIQUE ET DE LEURS ÉTUDES EN AFRIQUE Jean-Marc PEYRICAL Maitre de conférences à l’Université de Paris Saclay Directeur de la Chaire Achat Public de la Fondation de l’Université Avocat associé Président de...

ANALYSES ET COMMENTAIRES DE DÉCISIONS

LA COUR SUPRÊME SÉNÉGALAISE ET L’ACCÈS DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (PME) À LA COMMANDE PUBLIQUE Analyse des arrêts n° 37 du 14 juin 2018 opposant l’État du Sénégal c/ ARMP, Groupement d’Entreprise Solidaire, CSTP SA et n° 34 du 27 Mai 2021, ECOTRA SA c/ ARMP...