LES DROITS DE LA DEFENSE DURANT LA GARDE A VUE, de l’ambition à la réalité. Par Youssoupha NDIAYE

Toute action ou omission humaine, tant qu’elle porte atteinte à l’ordre social, mérite d’être réprimée. L’impact de cette répression sur le présent et l’avenir de la personne poursuivie est décisif. Ce qui justifie de mener une enquête sérieuse propre à jeter la lumière sur la véracité des faits avant toute prise de sanction.

Ces nécessités d’enquête et de protection de l’ordre public rendent parfois indispensable la mesure de garde à vue.

A ce stade de la procédure, entre présomption d’innocence et recherche de la vérité, les droits de la défense se dressent.

Il convient, dès lors, de se pencher sur une analyse conjointe entre la mesure .de garde à vue et l’exercice des droits de la défense.

Par définition, la garde à vue est une mesure de police en vertu de laquelle sont retenues, dans des locaux non pénitentiaires et pour une durée limitée, variable selon le type d’infraction, des personnes qui, tout en étant ni prévenues ni inculpées, doivent rester à la disposition des officiers de police judiciaire pour des nécessités de l’enquête.

Quant aux droits de la défense, ils renvoient, dans notre contexte, à un ensemble de prérogatives qui garantissent au suspect la possibilité d’assurer effectivement sa défense au cours du procès pénal et dont la violation constitue une cause de nullité de la procédure.

Il s’agit donc des droits que possède toute personne pour se protéger de la menace que constitue, pour elle, un procès.

Replacé dans notre contexte de garde à vue, cette approche se conçoit aisément. En effet, le principe de la présomption d’innocence veut que toute personne poursuivie soit présumée innocente tant que sa culpabilité n’est pas établie par une décision de justice devenue définitive.  Ce principe irrigue et sous-tend l’exercice des droits de la défense. A ce titre, il ne fera pas l’objet d’analyse dans les développements qui suivent. Ceux-ci tourneront concrètement autour de l’effectivité de ces droits dont la présence de l’avocat constitue une garantie majeure. Il y va du caractère équitable du procès éventuel.

A ce titre, il ressort de l’alinéa 2 de l’article 9 de la Constitution de la République du Sénégal que « la défense est un droit absolu dans tous les états et à tous les degrés de la procédure ».

Dans cette perspective, dans quelle mesure les droits de la défense sont effectivement pris en compte durant la phase de la procédure de garde à vue ?

Au regard de l’évolution législative en la matière, on peut observer que ces droits, notamment par l’assistance d’un avocat dans la phase de garde à vue, ont été tardivement reconnus en droit positif sénégalais.

Ainsi, l’intervention de l’avocat en cas de prolongation de la garde à vue a été consacrée par la loi 99-06 du 29 janvier 1999 modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale (JORS du 27 février 1999, p. 836 et s.).

Plus décisivement, la présence de l’avocat « dès l’interpellation » a été consacrée à l’article 5 du Règlement n°5 relatif à l’harmonisation règles régissant la profession d’avocat au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine(UEMOA) (Règlement n°05/CM de l’UEMOA du 25 septembre 2014 relatif à l’harmonisation règles régissant la profession d’avocat dans l’UEMOA). Sur la question de l’applicabilité de ce règlement en la matière, voir Y. Bodian et P. Talla Fall, « à propos de la présence de l’avocat aux premières heures de la garde à vue », «Le soleil » du 28 août 2015 ; P. A Touré, « l’article 5 du Règlement n°05/CM de l’UEMOA du 25 septembre 2014 relatif à l’assistance de l’avocat dès l’interpellation devant la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar :  à propos de l’arrêt n°149 du 22 septembre 2015 affaire Thione Seck», FSJP, Annales africaines, nouvelle série, volume 2, décembre 2015, p323 et s.

Ces dispositions, greffées au nouvel article 55 du Code de procédure pénale à la faveur de la réforme dudit code, intervenue le 8 novembre 2016, n’ont pas manqué de bouleverser le régime de la garde à vue, ainsi que les pratiques en cours (JORS n°6976 du 26 novembre 2016, p. 1627 et s.).

Le magistrat Papa Assane Touré a estimé, à juste raison, que « la greffe opérée n’a pas bien pris », en ce sens que l’intervention de l’avocat semble toujours prévue pour la seconde période de la garde à vue (voir alinéa 10 du nouvel article 55 CPP issu de ladite réforme).

Cependant, à l’épreuve de la pratique, force est de reconnaitre que l’ambition du législateur de garantir les droits de la défense dès l’interpellation conformément à nos engagements communautaires, nous semble bien entrée dans les mœurs judiciaires.

A juste titre. En effet, contrairement à l’instance civile ou il y a une bataille à armes égales autour de droits subjectifs, les poursuites pénales sont de type essentiellement inégalitaire. Face à la société munie de puissants moyens, se trouve une personne affaiblie. Cette personne a besoin d’un filet de protection tissé avec les droits de la défense.

En fait, on assiste à une mise en jeu de divers intérêts : ceux de la société, de la victime, de la partie civile et du suspect. Certes, l’infraction constitue une atteinte à l’ordre social. Mais les enjeux de poursuite ne doivent pas l’emporter sur le respect des droits, des libertés individuelles et de la dignité humaine.

Le professeur Bernard Bouloc affirmait, à juste titre, que « face au phénomène criminel, la société doit agir avec mesure et raison, car il se peut que la personne poursuivie ne soit pas l’auteur de l’infraction ». Le professeur Ndiaw Diouf ajoutait que « de la manière dont se déroule le procès pénal sous nos tropiques, le non-lieu n’efface pas la peine subie et purgée ».

A ce constat, il faut ajouter le fait qu’au-delà de la condamnation pénale, la personne poursuivie encourt « une condamnation sociétale définitive ».

Ainsi, l’ambition légitime de faire intervenir l’avocat dès les premières heures de la garde à vue tant dans son principe que dans ses modalités, est de nature à garantir un respect des droits de la défense.

Dans sa mise en œuvre, en dépit des errements de premières heures et du bouleversement du régime juridique de la garde à vue par cette nouvelle donne, l’interprétation jurisprudentielle actuelle laisse entrevoir que ladite ambition est en passe de devenir réalité.

Eu égard à ces considérations, il y a lieu de se pencher sur l’aménagement des droits de la défense dans la procédure de garde à vue (I) dont l’effectivité (II) mérite d’être soulignée.

Cliquez ici pour télécharger l’intégralité de la contribution sur les droits de la défense durant la garde à vue, …

Par Youssoupha NDIAYE

Substitut du Procureur près le TGI de Dakar

Secrétaire général de l’Union des Magistrats sénégalais (UMS)

2 Commentaires

  1. Malick Konaré

    merci Beaucoup pour cette belle contribution. elle m’a été très utile dans le cadre de la rédaction de mon mémoire sur « la garde à vue et les droits de la défense en matière de terrorisme »

    Réponse
  2. Salif KA

    Merci beaucoup pour cette belle contribution. Ça m’a permis de bien comprendre les droits de la défense

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

De l’image du pouvoir judiciaire à la condition du Magistrat Sénégalais. Par Cheikh SEYE

Dans la philosophie de la subjectivité, Montesquieu explique que « Dans l’état de nature, les hommes naissent bien dans l’égalité mais ils n’y sauraient rester car la société la leur fait perdre et ils ne redeviennent égaux que par les lois ». L’association injectant...

L’office du juge dans l’évolution de la jurisprudence administrative au Sénégal. Par Modou SECK

Introduction « C’est le juge…qui interprète, comble les lacunes, donne un contenu aux procédures et aux règles, c’est à son niveau que le droit se forme dans les profondeurs et notamment le droit administratif. »[1] Cette assertion du Doyen BOCKEL met en évidence le...

Les actes administratifs injusticiables. Par Abdoul kader ABOU KOINI & Souleye BA

Introduction Le contrôle juridictionnel de l’administration dans les Etats africains francophones s’intègre dans un vaste champ de protection des administrés à l’égard de l’administration amorcé avec l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit à partir des...

Les innovations instituées par la Constitution Tchadienne du 29 décembre 2023 : étude à charge et à décharge. Par WARDOUGOU KELLEY SAKINE

« La Constitution est le pacte fondateur de l’État (…). Cette nouvelle légitimité censée traduire les nouvelles aspirations du peuple souverain apparaît le plus souvent avec une révolution et parfois un coup d’État qui constitue une rupture, voire une destruction de...

La constitutionnalisation des droits et libertés fondamentaux en Afrique Sub-Saharienne est-elle une garantie suffisante et efficace ? Les cas du bénin et de la république de DJIBOUTI.

Résumé La justice constitutionnelle, dont la fonction est de veiller à ce que les lois respectent la constitution et les droits fondamentaux, apparaît comme l'un des principaux éléments du processus d'encadrement juridique des systèmes politiques et de renforcement de...

Le service universel de télécommunications un droit social au concours des politiques publiques de décentralisation, administrative, économique et de lutte contre les inégalités. Par Samba DIOUF

Les bouleversements technologiques qui ont marqué le monde à la fin des années 1990 se sont traduits durant cette dernière décennie par l’expression de nouveaux besoins apparus irréversibles au cadre de vie des groupes humains. En Afrique et dans les différents pays...

Contribution au débat sur la manipulation du processus de l’élection présidentielle. Par Mactar KAMARA,

Le samedi 03 février 2024 restera à jamais gravé dans la mémoire collective des Sénégalais comme une date fatidique d’atteinte portée à l’intégrité du processus électoral devant conduire à l’élection présidentielle prévue de longue date le 25 février de la même année....

Insurrection juridictionnelle au Sénégal. Par le Pr Abdoulaye SOMA

Edition : Afrilex Février 2024 INTRODUCTION Le printemps sénégalais. C’est ainsi qu’on pourrait parler du changement du climat politique et jurisprudentiel résultant de l’effet de la décision rendue le 15 février 2024 par le Conseil constitutionnel du Sénégal1. Tout...

La décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 : manifestation d’une posture conséquentialiste du juge constitutionnel sénégalais ? Par ADOUA-MBONGO Aubrey Sidney

 Il y a pratiquement trente ans le Président du conseil constitutionnel français, Robert Badinter, affirmait, à propos de l’évaluation des conséquences par le juge constitutionnel, que : « la prise de décision est une opération très complexe dans le contrôle de...

Quand un dialogue peut être une diversion. Jeu et manipulation de l’élite politique dirigeante en Afrique francophone. Par BAHDON Abdillahi Mohamed

Introduction À la fin des années 1990, l'Afrique noire était entrée dans une période de changement constitutionnel. Une certaine euphorie avait gagné certains africanistes comme Akindès Francis, Amadou A. et Quantin Patrick ont rapidement évoqué le changement...