Il n’est pas commun de voir, un péché au sens coranique qui annonce l’entrée en guerre d’Allah et de son prophète contre son auteur. Le riba est l’un des péchés capitaux, objet des dernières révélations du Coran précisément dans la sourate Al Baqara dans ses versets 275 à 281.
L’intérêt bancaire, fa’idat en économie islamique, est un des piliers du capitalisme moderne et un moteur incontesté de l’inflation[1] par sa généralisation et son accroissement. Dans le Coran, il est fait mention des ajouts sur prêt comme des pratiques répréhensibles et condamnables à travers le vocable Ribâ mal traduite par certains commentateurs comme l’usure. Dans la langue arabe, le mot Ribâ renvoie sans équivoque à ziyâda ou ajout/surplus en lieu et place d’usure présentée dans la société occidentale comme un taux d’un seuil moralement incorrect. D’où la nécessité première de dissocier le riba coranique à l’usure de la modernité qui se fixe dans chaque société de manière arbitraire sans fondement moral véritable, ainsi Aristote exposait toute sa stupéfaction devant l’engendrement de l’argent par l’argent (système d’intérêt moderne). Nul ne remet en question le caractère illicite (haram) du riba parmi les musulmans, car découlant de textes clairs; nul ne conteste le consensus[2] établi quant à l’appartenance du riba aux plus grand péchés (Boukhari 6857, Mouslim 89).
A travers quatre versets et une quarantaine de hadiths authentiques, le riba a été expliqué et injonction fût donnée aux croyants de s’en éloigner pour espérer recevoir la miséricorde seigneuriale ainsi que la félicité dans au-delà. A la lumière de ces textes, le riba est constitué detout AJOUT conditionné quelle que soit la nature, la quantité et l’appellation au moment de la contraction du prêt. La législation islamique assimile dans le riba le prêteur, le receveur, le témoin, le facilitateur et le bénéficiaire comme l’a rapporté le célèbre compagnon Jâbir ibn abdallah[3] (rta): ils sont tous égaux dans la transgression. Avant d’en arriver au statut du prêt bancaire moderne, il faudra délimiter le riba dans les opérations sur lesquelles il existe une probabilité de réalisation. Les oulémas musulmans n’ont pas divergé, comme l’a rapporté l’imam Ibn Hazm[4], sur les trois opérations d’expression du riba que sont: la vente, le prêt et le salam.
En finance islamique, le prêt de monnaies ou de biens soumis au versement d’intérêt à l’échéance est interdit à travers des textes[5] sans équivoque; il doit être dissocier de la Ariya[6] sur laquelle, il ne peut y avoir riba ou des opérations de Qirad. Les compagnons, les taabi’in et les savants parmi les salaf interdisaient tout avantage imposé en contrepartie d’un prêt conformément à l’enseignement du prophète, tel que rapporté de l’imam Ibrahim Nakha’i (mort en 96 de l’hégire) par Al moughira[7]. Cette position était celle d’Abdallah ibn Oumar[8], d’Ibn mass’oud, de Hassan al Basri, d’Ibn Sirin et des quatres fondateurs réputés dans l’école sunnite comme l’a rapporté Hichâm[9], d’Ibn Qoudama[10], d’ibn Mounzir[11], de cheikh al islam ibn Taymiyya[12], ibn Qourtoubi[13]; il est rare d’avoir un si large consensus sur une question en fiqh.
Nous l’avons vu, deux types d’intérêt sur prêt ont été condamnés par tous les savants de tous les temps: l’intérêt établi lors du contrat de crédit (taux d’intérêt bancaire moderne) et l’intérêt imposé à ceux qui sont en défaut de paiement ou pour une prorogation d’échéance sur un prêt sain ou avec intérêt (pénalités appliquées par les institutions modernes).
Il ne fait aucun doute que l’intérêt bancaire moderne relève du riba quel que soit le niveau du taux. Pourtant des voix s’élèvent dans la communauté des penseurs pour nuancer et relativiser le statut de la fa’idat. Le premier groupe indexe la composition du taux d’intérêt pour y identifier une partie admise et une autre abusée. Il s’agit selon des financiers du coût des fonds par la banque, de la prime associée à l’emprunteur, de la rémunération de la banque et, dans une moindre mesure, de l’inflation. Dans la réalité, le crédit qu’accorde la banque ne découle pas de sommes mobilisées mais d’une création ex nihilo qu’autorise le système des réserves fractionnaires. L’inflation est difficilement intégrable ex ante dans un contrat de crédit dans nos économies fortement spéculatives et volatiles. Quant au risque, il est difficilement déterminable à une époque où les banques et établissements financiers ne prennent pas de risque et ne participent pas aux pertes des emprunteurs. Enfin, la marge de l’établissement bancaire, que certains experts assimilent faussement à une moudaraba, est une bêtise puisse que c’est à partir de rien qu’elle prête. La décomposition du taux d’intérêt ou l’arabisation de termes ne peut hallaliser[14] une partie de son contenu, car comme rappeler plus haut, le riba n’est pas lié à des seuils ou limites.
Il reste un argument ultime des progressistes en matière de prêt bancaire: c’est le sceau de «l’extrême nécessité» qu’ils le revêtent pour légitimer son utilisation. L’imam Abou abdallah Zarqaachi nous en donne une définition consensuelle acceptée chez les savants en ces termes: «l’extrême nécessité daroura désigne le fait que si la personne ne fait pas la chose interdite elle va mourir, ou sera sur le point de mourir, comme la personne qui doit manger ou se couvrir dans le sens où si elle reste affamée ou nue elle va mourir ou perdre un de ses membres[15]». Sous ce rapport, assimiler l’emprunt bancaire à intérêt à une nécessité extrême pour des musulmans nourrissant des projets immobiliers relève de l’escroquerie conceptuelle et de la gymnastique intellectuelle. Beaucoup d’instruments restent à la disposition du musulman pour mener des projets immobiliers ou des acquisitions de terres à usage d’habitation tel que la mourabaha[16]. La position singulière de l’imam Abou hanifa (rta) concernant l’évolution d’un musulman en terre de «mécréant», a été réfutée par tous les imams de son temps[17] et même ses élèves qui trouvèrent les textes sur lesquels il s’était basé faibles dans leur chaîne de transmission. Il s’était toutefois prononcé sur la vente et non sur le prêt monétaire !
La complexité de la réflexion se situe dans la nature actuelle de l’argent qui est d’abord une dette avant d’être le médium de circulation des biens, services et richesses. Le paradigme islamique envisage le Qard ou prêt comme une opération primaire n’ouvrant pas la possibilité d’enrichir le prêteur dans la logique de monnaies ayant une valeur intrinsèque (système or et argent). Il questionne le pouvoir de création monétaire privée que les rentiers disposent au détriment de la communauté étant entendu que la monnaie reste le commun des communs[18]. La banque conventionnelle moderne n’est pas compatible avec les principes ni aux valeurs de l’Islam; la banque est bien le prolongement d’un comportement des juifs que le Coran a fustigé dans la sourate An Nissa, verset 161. Refonder l’économie dans un paradigme islamique passera inéluctablement par la réforme de la monnaie, du crédit et de la banque-assurance. Repenser le crédit, avec une monnaie-paire replaçant la création monétaire ex nihilo entre les mains de la communauté en lieu et place d’une clique de rentiers non solidaires et sans une orientation de développement ni une vision solidaire, reste la priorité absolue pour des États modernes paupérisés et endettés.
Au delà de l’interdiction claire dans la loi islamique de l’intérêt sur prêt, c’est la possession de comptes rémunérés qu’il urge de pointer du doigt. Logiquement l’accessoire suit le principal, et le riba est proscrit dans tous les sens et sur toute sa chaîne de déploiement. Il s’agit des comptes de dépôts à terme, des comptes d’épargne et des comptes assimilés à l’exception bien sûr du compte courant qui est d’un autre type restant hors du champ d’application du riba.
Il est regrettable que nos érudits n’aient pas autant insisté sur les méfaits du riba dans une société organisant ainsi l’exploitation injuste de l’homme par l’homme. Il a été rapporté par Abdallah Ibn Hanzala (qu’Allah les agrée lui et son père), que le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) a dit: « Un dirham de riba que mange un homme, alors qu’il sait, est plus grave auprès d’Allah que trente-six fornications ». Pour notre part, le riba alimente les inégalités, rompt la justice sociale et accélère la décadence d’une communauté. Il urge de l’éradiquer dans les relations commerciales et monétaires pour espérer construire un monde plus juste, plus équitable, plus solidaire et basé sur des valeurs humanistes significatives susceptibles de faire de la terre, un havre de paix.
Cheikh Oumar DIAGNE Maba
Géoéconomiste-écosophe
[1] Dans le Capital au XXIe siècle, Thomas Piketty montre l’absence de l’inflation sauf en temps de crise, à travers le temps jusqu’au XIXe. Pour notre part, les taux d’intérêt ont contribué à alimenter une spirale d’inflation devenu un élément normal dans la vie économique moderne.
[2] Imam Nawawi, Al Majmou’ vol 9 p 487.
[3] Le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) a maudit celui qui mange le Riba, celui qui le lui fait manger, celui qui l’écrit et les deux témoins. Puis il ajoute : « Ils sont égaux (5) ».
Rapporté par Mouslim dans son Sahih n°1598.
[4] Éminent penseur et promoteur d’une école juridique sunnite. Se référer à Al Mouhalla ; Point 1478 ; vol 8- p 467.
[5] Rapporté par Al Bayhaqi dans As Sounan Al Koubra n°10933. Abder Razaq dans son Moussannaf n°14657 et authentifié par Ibn Hazm dans Al Mouhala vol 8 p 86.
[6] La ariya désigne un contrat permettant gratuitement à quelqu’un de profiter d’une chose qui perdure après son utilisation afin de pouvoir la rendre à son propriétaire. Ce n’est ni une location encore moins une vente.
[7] Compagnon du prophète, et plusieurs fois gouverneur.
[8] Rapporté par Malik dans la Mouwata n°1501 et authentifié par Cheikh Salim Al Hilali dans sa correction du Mouwata vol 3 p 457.
[9] Rapporté par Ibn Abi Chayba avec une chaîne authentique dans son Moussannaf n°21938
[10] Mort en 620 H, avis sur le prêt conditionné au paiement d’un surplus Al Moughni, tome 6, page 436.
[11] Mort en 318H, Avis rapporté dans Al Ijma’ n°570 p 136.
[12] Mort 671 H, avis dans Majmou al fataawa, 29/334.
[13] Mort en 671H, Position clarifiée dans Tafsir al Qourtoubi, Tome 4, page 225.
[14] Rendre licite au sens islamique un phénomène ou fait.
[15] Al Mançour fil qawa’id fiqh ach chafiyyi, Volume 2, page 319.
[16] Il se présente comme une vente à crédit, où une institution financière achète un bien pour le compte d’un client, puis le revend à ce dernier avec une marge bénéficiaire convenue.
[17] Imam Al awza’i (mort en 157 H) se référera sur le hadith de l’annulation de la riba de la jahiliyya pour réfuter la position de abou hanifa.
[18] Penser la monnaie au service du panafricanisme; Editions Harmattan, 2025.
MaachAllah.
Un sujet assez complexe qui mérite qu’on s’y attarde. Ce serait intéressant d’organiser des séminaires avec pour aider les musulmans à mieux en saisir les enjeux Merci encore Cheikh Oumar.
Excellent sujet très pertinent et mérite une réflexion .
Machallah très cher pour ces questions pertinentes.
1- dans les principes de finance en islam il y’a l’absence de lésion réciproque contenu dans le hadith « la darrara wa laa diraara ». Donc en 2025, vous rembourserez la valeur de ce que pouvait acheter 1.000 francs en 1990 dans ce pays en prenant comme mesure le bien principal de la localité.
2-en finance islamique, le vendeur est libre de fixer un prix au comptant ou à différé en respectant les principes élémentaires pour ne pas verser dans le riba. cette opération transparente depuis le début sur un produit que l’on sait en appréciation permanente, ne constitue pas un riba en soi.
Complet et révolutionne l’économie mondiale après une chute inévitable du capitalisme et son système de gouvernance bravo
Mashallah, toujours au service de la Umma et du peuple Sénégalais.
Salam le COD. Merci pour cet article.
2 questions :
1- On m’a prêté 1.000f en 1990. On est en 2025., fois je rembourser 1.000f seulement car les 1000f de 1990 pouvaient acheter plus qu’aujourd’hui ?
2- je vends un terrain en le proposant cash à 1 million et sur 1 an à 1,3 million et sur 2 ans à 1,6 million? Est ce du ribaa?