Introduction
« C’est le juge…qui interprète, comble les lacunes, donne un contenu aux procédures et aux règles, c’est à son niveau que le droit se forme dans les profondeurs et notamment le droit administratif. »[1]
Cette assertion du Doyen BOCKEL met en évidence le rôle du juge dans le développement de la jurisprudence, inhérente à la construction du droit administratif[2].Ce droit, discipline mère autour de laquelle « gravitaient tous les savoirs administratifs »[3] peut être amené à changer de vicissitudes en fonction de l’organisation des juridictions[4] et les compétences qui leur sont dévolues[5]. Au Sénégal, avec l’évènement du système d’unité de juridiction à dualité de contentieux, prototype du droit administratif, la compétence est matérialisée par la procédure à suivre[6]. Le juge de l’Administration est en principe le « juge ordinaire » qui dispose d’une compétence de droit commun en toutes matières[7], à l’exception du recours pour excès de pouvoir qui était porté directement devant la Cour suprême[8] en réaction à la complexité du système judiciaire coloniale[9]. Cette dernière a pu jouer un rôle d’harmonisation et de régulation de la jurisprudence administrative en particulier[10].
Le législateur organique a institué à travers la loi organique n°92-24 du 30 mai 1992, le Conseil d’État qui est né d’une évolution progressive répondant aux besoins d’une spécialisation accrue[11] afin de rendre plus efficace la protection des administrés face à l’administration[12].
Ainsi, la spécialisation de la juridiction administrative était le pilier principal de la réforme du système judiciaire sénégalais et la préoccupation essentielle voire majeure du législateur sénégalais[13].
La mise en place d’une nouvelle institution suscite souvent des attentes légitimes quant aux grandes lignes de l’orientation de son activité.
Cependant, une dizaine d’années après la réforme de 1992, il est constaté une tendance générale à un retour au système de l’unité de juridiction[14] par la fusion du Conseil d’État et de la Cour de Cassation en une « Cour suprême » par le biais de la loi organique 2008-35 du 7 août 2008[15].
Par Modou SECK
Juge au Tribunal de Grande Instance de Ziguinchor,
Chargé de travaux dirigés à l’Université Assane SECK
[1] Alain BOCKEL, Droit administratif, Dakar, NEA, 1978, p. 34.
[2] Demba SY, « Un demi-siècle de jurisprudence administrative au Sénégal : de l’émergence à la maturation », Ismaïla Madior Fall, Alioune Sall (dir.), Mélanges en l’honneur Babacar KANTE, Actualités du droit public et de la Science politique en Afrique, L’Harmattan-Sénégal, p .617.
[3]Jacques Chevallier, « Le droit administratif entre science administrative et droit Constitutionnel, in Le droit administratif en mutation », Paris PUF, 1993, p. 13.
[4] Demba SY, ibid., 617.
[5] Yédoh Sébastien LATH, « Le contentieux administratif dans le système ivoirien d’unité de juridiction : éléments d’une typologie, in Mélanges en l’honneur de Babacar KANTE … ibid., p.53.
[6] Ibrahima DIALLO, « L’exception d’illégalité dans le système judiciaire sénégalais », Nouvelles annales africaines, n°1/2010, p.147 ; Biram SENE, « le traitement de l’exception d’illégalité » in La Balance, n°1 éditions abis, Janvier 2017 p.54.
[7]L’art. 3 de la loi n° 84-19 du 2 février 1984 relative à l’organisation judiciaire du Sénégal (J.O. du 3 mars1984).
[8] Maïmouna KANE, « L’élaboration du droit : le rôle de la jurisprudence », RA, 1999, p.496. ; En guise de rappel historique, le Sénégal, devenu État souverain se devait d’avoir des juridictions propres pour remplacer la juridiction française incompétente pour connaître du contentieux administratif né des litiges postérieurs au 4 avril 1960. C’est ainsi que par ordonnance n° 60-17 du 3 sept. 1960 le Sénégal se dote d’une Cour suprême formée de 3 sections dont la deuxième devint le juge de l’excès de pouvoir
[9] Pape Assane TOURE, « La réforme de l’organisation judicaire du Sénégal : évolution ou révolution judicaire ? in La Balance, n°1, Janvier-Juin 2017 p. 9 ; la reforme de de l’organisation judicaire du Sénégal commenté et annoté, Paris, L’Harmattan, 2016, p.24. ; voir aussi Fatou Kiné CAMARA, « La Cour suprême : leçons d’un faux départ », Ndiaw DIOUF, Mohamed Bachir NIANG, Abdoul Aziz DIOUF (dir,), Le droit africain à la quête de son identité. Mélanges offerts au Professeur Isaac Yankhoba NDIAYE, L’Harmattan-Sénégal, 2021, pp. 203 et s.
[10] El Hadji MBODJ, « Les incidences de la réforme judiciaire du 20 mai 1992 sur le contentieux administratif sénégalais », RASDP, p.13.
[11] Il résulte de cette réforme judiciaire que dualité de juridiction au sommet de la hiérarchie judiciaire avec la création du Conseil d’État, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel voir Mamadou SALL, « Le rôle consultatif du Conseil d’État du Sénégal », RA, 1999, p. 423.
[12] Ibrahima DIALLO, « L’exception d’illégalité dans le système judiciaire … », op.cit., pp. 148 .149.
[13] El Hadji MBODJ, « Lesincidences de la réforme judiciaire du 20 mai 1992 sur le contentieux administratif sénégalais …», op.cit., p.8.
[14] Loi constitutionnelle n° 2008-34 du 7 août 2008 portant révision de la constitution et loi n° 2008-35 du 07 août 2008 sur la Cour suprême (J.O. n° 6420 du vendredi 8 août 2008).
[15] Voir article 2 de loi organique n°2008-35 du 07aout 2008 sur la Cour suprême, Cette dernière connaît désormais, « des pourvois en cassation pour incompétence, violation de loi …contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les différentes juridictions » et En même temps, elle est « juge en premier et dernier ressort de l’excès de pouvoir des autorités exécutives, ainsi que la légalité des actes des Collectivité locales »
Un homme courtois et juste est parti à jamais. Qu’ALLAH le pardonne et l’accueille dans son Paradis Firdaws
Un travail sans commune mesure!