Approche Kawçar: une théorie de l’abondance. Par Cheikh Oumar DIAGNE

Dans le système libéralo-capitaliste dominant, les acteurs indexent la fin de l’abondance dans une lecture collapso-apocalyptique de l’humanité. En effet, dans le paradigme matérialiste, les ressources sont présentées comme limitées, malgré la poursuite d’une croissance sans fin et beaucoup de destructions irrationnelles qui n’obéissent qu’à des désirs insatiables et inassouvis.

Pour pallier cet épuisement annoncé, des solutions de fortune ont été imaginées par les maîtres de la pensée économique conventionnelle : la décroissance, le découplement, la décarbonation, entre autres, sont perçus comme une panacée face à une crise provoquée par la cupidité, de l’abus, de l’amoralité et de la compétition. Contrairement aux penseurs néoclassiques enfermés dans des modèles de maximisations souvent déconnectés de la réalité, les écosophes proposent une vision renouvelée avec une pensée radicalement différente. C’est bien sous ce prisme que nous aborderons notre théorie de l’abondance dans une économie dynamique capable de remplir sa mission : préserver sainement la maison, adopter des règles/principes en harmonie et soucieux des gens de la maison et enfin savoir inventer des outils appropriés pour répondre aux objectifs dans le court, moyen et long terme.

L’expression kawçar[1] est un hapax coranique, qui admet plus de quarante significations chez les exégètes, dont la plus consensuelle renvoie à une source d’abondance dans laquelle un breuvage est servi aux bienheureux qui ne connaîtront plus la soif après sa prise. Dans la sourate portant son nom, il s’agit d’une promesse ferme à la communauté de croyants de demeurer dans l’abondance tant qu’ils se conformeront au paradigme monothéiste (rendre le culte au Seigneur tout en sacrifiant à son nom). Ce qui confirme l’Evangile en ces augustes termes « Qui répand la bénédiction connaîtra l’abondance» (Proverbes 11:25). Elle renvoie aussi bien aux possibilités, aux opportunités qu’aux ressources et richesses dont la majorité sont à construire en développant les dotations naturelles. Jésus a affirmé qu’Il est venu pour que ses disciples aient la vie en abondance (Jean 10:10) et tous les prophètes ont abordé le paradigme de l’abondance et du bonheur comme le meilleur choix pour leurs communautés à condition de s’attacher à la vertu. Dans le Deutéronome (28:11), Yahvé livre la promesse en ces termes : le Seigneur te mettra dans l’abondance de toutes sortes de biens, en multipliant le fruit de ton ventre, le fruit de ton bétail, et le fruit de ta terre, qu’il a juré à tes pères de te donner.

Avant de développer notre théorie de l’abondance, il convient de clarifier le paradigme écosophique qui inspire notre réflexion. A l’opposé de la pensée utilitariste dominante, fondée sur la rareté et le désir individuel – chère aux Benthamiens – notre écosophie considère l’équilibre comme une utopie lorsque certains acteurs et secteurs sont méconnus/ignorés des décideurs, car relégués dans les compartiments gris ou noirs de la maison. En réalité, le génie écosophique réside dans sa faculté à organiser des déséquilibres et à savoir les entretenir dans la poursuite de buts salutaires. Ainsi, des équilibres socialement néfastes, écologiquement désastreux et creusant des inégalités sont tout simplement catastrophiques à maintenir. C’est l’axiome de rareté qui est au cœur des arbitrages et des priorisations dans les allocations de ressources prétendues limitées face à des besoins exponentiels et illimités. Cet axiome est en réalité la matrice génératrice d’individualisme, de compétition et d’inégalités accélérant la fin de l’homme et de sa civilisation.

Notre monde, il faut le rappeler aux magiciens de la bêtise, n’est pas marqué par la rareté mais par une juste mesure de tous les ingrédients constructifs de l’abondance. Trois éléments appuient cette position. Tout d’abord, la théorie est démentie par la réalité sur la rareté des ressources naturelles supportant l’existence. En vérité, il y a bien plus d’opportunités que de menaces et davantage de ressources que de besoins. Les ressources sont infinies malgré qu’il y ait des éléments qui ne se renouvellent pas. L’énergie en est une bonne illustration, car elle capte des attentions démentielles dans une propagande autour de l’effondrement et des transitions associées afin de sauver « la planète ». L’énergie, comme toutes les ressources du cosmos, existe infiniment dans toute réalité matérielle : dans les océans, dans le vent, sous le sol, dans l’espace. C’est sous ce rapport que le pétrole peut tarir, le gaz finir, le thorium s’épuiser, la tourbe disparaître, mais l’énergie continuera d’être disponible en quantité illimitée, car la connaissance ne cessera jamais d’ouvrir des possibilités nouvelles afin de certifier que l’homme est le plus grand trésor que renferme la terre. L’eau est dans cette même situation présente partout dans l’atmosphère, sur la lune et bientôt produite par synthèse de ses éléments de base.

Sous ce rapport, notre paradigme n’est pas construit sur la rareté ni le manque, mais bien sur l’abondance et l’existence des ressources nécessaires à l’épanouissement de l’homme sur terre. Il y a deux fois plus de solutions que de problèmes !

En second lieu, il y a un parallélisme à établir entre l’homme et l’univers, étant entendu que l’homme est un univers en miniature. Dans cette perspective, l’expansion de l’espace-temps est tout aussi perceptible dans le couple besoin-richesse. En économie, tout est dynamique dans des cycles expansion-contraction tel le rythme de respiration : nul ne peut rester dans une inspiration sans arrêt ou dans une expiration permanente. Il faut respirer avec des inspirations et des expirations conformément aux besoins musculaires, à l’environnement et à la qualité de l’air. La plus grande expansion inductrice d’abondance reste de loin celle de la connaissance et c’est bien dans ce cadre que s’opèrent les substitutions et améliorations garantes de l’abondance. Les exemples font légion et les limites entre la réalité et l’utopie sont éprouvées tous les jours. Nous savons que les 82 % de la biomasse sont constituées de plantes et l’état de la recherche montre par exemple qu’avec de la cellulose on peut tirer un matériel plus rigide que l’acier ou que la lignine peut être substituée au lithium dans des batteries, ou encore l’existence de membranes dans l’épiderme à propriétés phononique dans l’oignon susceptibles de se substituer à des terres rares inégalement réparties sur le globe. L’économie de la connaissance sera le fer de lance de l’abondance et beaucoup d’opportunités seront offertes au-delà de notre atmosphère avec des éléments et des richesses que le savoir scientifique et technologique permettra de soumettre aux besoins de l’humanité. L’univers, en réalité, n’a pas encore livré ses secrets ni révélé ses trésors pour le grand bonheur du bien-être de l’homme.

Le dernier élément du trépied de notre théorie de l’abondance réside dans une circularité intelligente de l’économie à construire. L’économie circulaire est devenue une réalité dans le débat public. Toutefois, pour devenir une véritable alternative créatrice d’abondance, elle devra évoluer vers une bio-circularité et dans une All-économy. En d’autres termes, avec cette approche, tout se basera sur du carbone. En lieu et place d’une décarbonation de l’économie prônée par les chantres du changement climatique, il faudra procéder à une décombustion en privilégiant des molécules biosourcées et biodégradables. En plus de construire la circularité par la bioéconomie, rompant avec la performance au sens de Hamant[2] pour plus de robustesse, il faudra migrer vers la juste utilisation – full-using – des moyens, outils et instruments qui doivent servir l’humanité et non l’asservir. Sous ce rapport, le concept « zéro déchet » est une utopie, mais disons que des déchets sont aussi des opportunités et qu’il n’existe pas de déchets non recyclables : tout se récupère, se transforme et se recrée.

L’approche de l’abondance se heurte à l’atomicité de la pensée contemporaine, qui cloisonne les perceptions, les analyses et les réponses à donner aux difficultés ou crises majoritairement artificielles ou construites. Aujourd’hui, les problèmes modernes sont souvent abordés en silos, par thématiques ou secteurs, offrant ainsi des solutions partielles aux problèmes de fond que traversent nos sociétés. Nous proposons une solution systémique que nous nommons Kawçar[3] inspirée de l’Islam[4], bâti sur la solidarité, l’entraide et la bienveillance entre institutions et populations. L’approche Kawçar constitue, en ces périodes de menaces FEBBSTECS[5], une alternative et un salut pour une humanité en croissance que les malthusiens et globalistes combattent au nom de la rationalisation des ressources. Rien n’est plus naturel pour un penseur que de réfléchir dans un paradigme d’abondance ; réfléchir dans la rareté aurait été surprenant, car il s’agirait plutôt d’un arbitrage que d’une réflexion.

Un autre monde est bien possible en décloisonnant les limites artificielles tout en maximisant les outils et instruments pour répondre aux besoins humains. A l’image du messie[6] qui marche vite, il nous faudra avancer rapidement. La bonne fin appartient aux bienheureux. Que la paix soit sur ceux qui suivent la vérité !

Par Cheikh Oumar DIAGNE

Géoéconomiste-écosophe


[1] Nom d’une sourate remarquable dans le Coran, la plus courte (3 versets) expliquant le privilège de ceux qui auront la félicité dans l’au-delà. C’est la 108e dans l’ordre d’agencement et le mot renvoie à une quantité grandiose.

[2] Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance: la robustesse du vivant; publié en 2023, Tracts N°50.

[3] Entre les populations il existe des instruments de solidarité basés sur la fraternité; entre les institutions il y a des outils d’entraide pour consolider la communauté; enfin entre les institutions et les populations il y a des politiques de bienveillance replaçant Dieu (la main invisible de Smith) au début, au milieu et à la fin de tout.

[4] Dans notre analyse, l’Islam est un principe immuable que tous les atomes observent, c’est la discipline générale de l’univers sur laquelle les astres, les vents, les courants, les créatures en tout et sur tout, se conforment harmonieusement. Seul l’humain est capable d’y dévier et de la violer.

[5] Financières, écologiques, budgétaires, biologiques, sécuritaires, technologiques, environnementales, climatiques et sanitaires.

[6] C’est exactement cet ère messianique que nous avons l’insigne honneur de déclencher

1 Commentaire

  1. Mamadou Dieynaba Kane.

    Mon cher neveu, c’est tres bien ce que je viens de lire.J’ai toujours eu des doutes serieux concernant la theorie economique dominante dans no universites modernes. »Scarcity », « limited means », « unlimited wants & needs »…The premises are dead wrong ! J’ai navigue’ dans ce milieu tout en etant « unsatisfied »…C’est pour te dire que ton initiative est bien venue chez-moi…J’attends que tu develope un peu plus …Good luck to you.

    Réponse

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