Le cabinet : un service atypique du département ministériel, Par Papa Assane TOURE

Le cabinet : un service atypique du département ministériel

 

Le cabinet ministériel est un service du département composé d’un groupe collaborateurs personnels choisis par le ministre en raison de leurs qualités (techniques ou personnelles) et de la confiance qu’il leur accorde pour l’assister et le conseiller[1]. Il comprend le directeur de cabinet, les conseillers techniques, le chef de cabinet, l’attaché de cabinet et les chargés de mission[2]. La composition du cabinet du ministre est fixée en fonction du nombre de directions que comporte le département. Le ministre auprès d’un autre ministre, à l’image du secrétaire d’Etat et du ministre délégué, dispose aussi d’un cabinet réduit.

Au Sénégal, l’organisation des cabinets ministériels était régie jusqu’en 2020 par les dispositions du décret n° 59-082 SG du 10 avril 1959 relatif à la composition des cabinets ministériels[3]. Ce texte n’avait fait l’objet que d’une seule modification par le décret n° 68-236 du 1er mars 1968 qui avait réaménagé la composition du cabinet du secrétaire d’Etat. Ces textes réglementaires sont précisés par plusieurs instructions et circulaires[4].

Mais, la réglementation des cabinets ministériels n’était plus adaptée à la configuration actuelle et aux missions dévolues aux ministères. C’est pourquoi le décret n° 2020-2327 du 09 décembre 2020 relatif à l’organisation des cabinets des ministres et de secrétaires d’Etat[5] a procédé à une refonte globale de la réglementation des cabinets des ministres et des secrétaires d’Etat.

Le remaniement ministériel intervenu à la faveur de l’adoption du décret n° 2022-1775 du 17 septembre 2022 portant nomination des ministres et fixant la composition du Gouvernement relance l’intérêt de l’étude du cabinet du ministre.

Ce service administratif présente un particularisme certain dans le paysage des autres structures du département ministériel (secrétariat général, direction générale, direction, services rattachés, etc.). En effet, sa constitution est marquée par le pouvoir discrétionnaire du ministre, ce qui explique largement la précarité inhérente à la qualité de membre du cabinet ministériel.

I. Le pouvoir discrétionnaire du ministre dans la constitution de son cabinet

La nomination des membres du cabinet relève du pouvoir discrétionnaire du ministre. Cette règle fondamentale correspond à l’idée selon laquelle l’autorité ministérielle s’entoure de toute personne de son choix. De l’antiquité à nos jours, les « princes » se sont toujours entourés d’hommes de confiance. D’après l’instruction n° 002/PM/JUR du 09 janvier 1981 relative aux cabinets ministériels, les membres du cabinet sont les collaborateurs personnels d’un ministre nommément désignés en raison de la confiance que le ministre leur accorde et de leurs qualités (techniques ou personnelles).

La prééminence de l’intuitu personae (considérations personnelles) dans la nomination des membres du cabinet ministériel résulte même des titres qu’ils portent. Par exemple, le directeur de cabinet est appelé « directeur de cabinet du ministre » et non « directeur de cabinet du ministère », le conseiller technique est dénommé « conseiller technique du ministre » ; alors que le secrétaire général porte le titre de « secrétaire général du ministère » et non « secrétaire général du ministre ».

Au Sénégal, le ministre nomme souvent parmi ses collaborateurs, non seulement ses relations personnelles, mais aussi un ou plusieurs membres de sa famille biologique ou « politique ». Il peut choisir également les membres de son cabinet dans les réseaux d’école ou des grands corps de l’Etat, comme des promotionnaires de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), du Centre de Formation Judicaire (CFJ), etc.

Les membres du cabinet du ministre sont nommés par arrêté du ministre publié au Journal officiel. L’arrêté de nomination précise les titres des personnes concernées et l’emploi auquel elles sont appelées au sein du cabinet[6]. Cette précision sur les titres et l’emploi des membres du cabinet traduit un souci du législateur réglementaire de garantir leurs compétences techniques.

Néanmoins, la nomination du personnel du cabinet ministériel obéit à des conditions. En effet, nul ne peut être membre du cabinet d’un ministre s’il n’est de nationalité sénégalaise et s’il ne jouit de ses droits civils et politiques[7].

En outre, l’instruction n° 002/PM/JUR du 09 janvier 1981 susvisée prévoit que les directeurs et conseillers techniques doivent être titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur ou encore appartenir à la hiérarchie A de la fonction publique.

De plus, il résulte de l’article 3 du décret n° 2020-2327 du 9 décembre 2020 précité que la nomination des membres du cabinet du ministre est subordonnée à une autorisation donnée par le Président de la République ou par toute autorité déléguée à cet effet. La demande d’autorisation de nomination d’un membre du cabinet est accompagnée des résultats d’une enquête de moralité diligentée par les services compétents du Ministère de l’Intérieur[8]. Avec la réintroduction du poste de Premier Ministre résultant de la loi constitutionnelle n° 2021-41 du 20 décembre 2021 portant révision de la Constitution[9], cette autorisation devrait, comme par le passé, être donnée par ce dernier.

Mais, lorsque le ministre entend conserver les membres de cabinets précédents ayant déjà accompli les formalités susmentionnées, il n’est pas nécessaire de les réitérer. Dans ce cas, il lui suffit seulement de reprendre les arrêtés de nomination des personnes concernées.

II. La précarité inhérente à la qualité de membre du cabinet ministériel

Les membres du cabinet entretiennent des liens « essentiellement précaires » avec le département confié au ministre, pour reprendre l’expression de l’instruction n° 002/PM/JUR du 09 janvier 1981 relative aux cabinets ministériels.

La précarité, « marque de fabrique » du statut de membre du cabinet ministériel, se distingue nettement de la stabilité et de la permanence de la mission dévolue au secrétaire général du ministère. La circulaire n° 24/PM/SGG/ADJ.2 du 07 avril 1978 relative au rôle du secrétaire général de ministère rappelle que le secrétaire général du département ministériel est « la mémoire du ministère », notamment dans les périodes d’instabilité gouvernementale. Il est l’élément de coordination institutionnelle stable du département, garant de la continuation du service public au plus haut niveau[10].

Le Bureau Organisation et Méthodes (BOM) a déjà eu l’occasion de rappeler, dans son Etude sur les normes de création et d’organisation des structures administratives, que le cabinet, étant une structure dont les membres changent au gré des remaniements au sein du Gouvernement, ne peut être garant de la continuité et de la permanence du fonctionnement du département ministériel[11].

Il y a, comme qui dirait, un lien de dépendance entre les fonctions de ministre avec celles de membre de son cabinet. Aux termes des dispositions de l’article 17 du décret n° 2020-2327 du 9 décembre 2020 précité : « les fonctions de membre du cabinet d’un ministre ou d’un secrétaire d’Etat et les avantages, traitements et prérogatives y attachés prennent fin en même temps que la fin des fonctions du ministre ou du secrétaire d’Etat ». En d’autres termes, le cabinet ministériel disparaît en même temps que prennent fin les fonctions du ministre.

Les autres collaborateurs du cabinet non reconduits sont remis à la disposition de leur administration d’origine, s’ils sont fonctionnaires ou cessent leurs activités administratives, s’ils sont des contractuels.

Tous les membres du cabinet du ministre sont concernés par l’expiration des fonctions, à l’exclusion des conseillers techniques de département, existant dans certains ministères, qui sont rattachés au ministère en vue d’accomplir des tâches purement techniques. En effet, selon l’instruction n° 002/PM/JUR du 09 janvier 1981, ces derniers conseillers n’appartiennent pas au cabinet et ne bénéficient pas des avantages attachés à cette qualité.

Ainsi, l’instruction n° 002/PM/JUR du 09 janvier 1981 susvisée prévoit que les membres du cabinet doivent faire l’objet d’une nouvelle nomination dans trois situations.

D’abord, lorsque le titulaire d’un département est remplacé par une autre personnalité, même si celle-ci désire conserver certains membres du cabinet de son prédécesseur.

Ensuite, lorsqu’un ministre change de département, même s’il emmène avec lui certains membres de son ancien cabinet, de nouveaux actes de nomination doivent intervenir.

Enfin, l’expiration du mandat présidentiel entraîne la fin des fonctions de tous les ministres. Ceux-ci font ainsi l’objet d’une nouvelle nomination et doivent à leur tour nommer les membres de leur cabinet, même s’ils conservent dans le nouveau Gouvernement le poste qu’ils occupaient antérieurement et même si, dans ces cas, ils entendent conserver les mêmes collaborateurs.

D’après une tradition administrative bien ancrée, à chaque changement de Gouvernement, une circulaire primatorale rappelle aux ministres nouvellement nommés les dispositions administratives à prendre. A cet égard, les circulaires n° 00002 et 00003 PM/SGG/DAGE/DRHAS du 23 avril 2019 relatives à l’installation des ministres et des secrétaires d’Etat énoncent que tous les ministres doivent nommer les membres de leurs cabinets dans les quinze (15) jours suivant leur nomination.

En réalité, le ministre tire son pouvoir de nomination de ses collaborateurs au sein de son cabinet de sa propre nomination par décret. C’est pourquoi, en cas de cessation des fonctions ministérielles, les arrêtés de nomination des membres du cabinet précédemment signés deviennent caducs et leurs fonctions prennent fin par voie de conséquence.

Dans le même sens, la circulaire n° 113 PM/JUR du 09 janvier 1981 relative à la nomination du cabinet énonce que même les membres d’un ancien Gouvernement qui ont retrouvé les mêmes attributions dans un nouveau Gouvernement doivent nommer à nouveau le personnel de son cabinet.

Ainsi, avec l’entrée en vigueur du décret n° 2022-1774 du 17 septembre 2022 mettant fin aux fonctions des membres du Gouvernement et du décret n° 2022-1775 du 17 septembre 2022 portant nomination des ministres et fixant la composition du Gouvernement, les fonctions de tous les membres des cabinets des ministres du précédent Gouvernement ont cessé.

En conséquence, les ministres nouvellement nommés, ceux qui ont été reconduits à la tête de leurs ministères ainsi que ceux ayant changé de département à la suite du remaniement gouvernemental, doivent renouveler la nomination des membres des cabinets, s’ils désirent conserver les anciens collaborateurs, par la signature de nouveaux arrêtés de nomination.

En définitive, le cabinet ministériel constitue une structure pas comme les autres au sein de l’Administration centrale ; il incarne l’autorité du ministre et participe de son prestige.

A l’image d’une ombre fuyante, le sort du cabinet est intimement et fatalement lié à celui du ministre et à celui du Gouvernement au sein duquel siège ce ministre.

 

Papa Assane TOURE

Magistrat hors hiérarchie

Docteur en Droit privé et Sciences criminelles

Secrétaire général adjoint du Gouvernement

chargé des Affaires juridiques

 

[1] En ce sens, J-C. GAUTRON, Les départements ministériels en France, thèse, Bordeaux, 1960, p. 169 ; V. SEURIN, « Les cabinets ministériels », RDP, 1962, p. 1209 ; K. KODA et M. MATHIEU, « Cabinet ministériel », in N. KODA (dir.), Dictionnaire d’administration publique, Grenoble, PUG, 2014, p. 51 ; D. SY, Droit administratif, Dakar, l’Harmattan, 2e édition, 2014, p. 188.

[2] On y ajoute souvent le secrétariat particulier (SP) ainsi que le chauffeur du ministre, même si les textes ne les citent pas expressément.

[3] JORS du 25 mai 1959, p. 528

[4] Il s’agit notamment de la circulaire du Président du Conseil n° 083/PCM/CAB/CPF du 14 décembre 1961, de l’instruction n° 16 PR du 1er mars 1968 relative aux cabinets ministériels, de l’instruction n° 0049/PM du 14 juin 1977 relative aux cabinets ministériels, de l’instruction n° 002/PM/JUR du 09 janvier 1981 relative aux cabinets ministériels, de la circulaire n° 1923/MF/CAB/7 du 07 avril 1960 relative aux avantages en nature des membres du Gouvernement et des cabinets ministériels, de la circulaire n° 8 PM/SGG/ADJ.2 du 12 février 1975 relative à la limitation d’âge pour être membre de cabinet, chef de service ou chef d’établissement public, de la circulaire n° 007 PR du 17 juillet 1985 relative à la modification de la circulaire n° 001 PR du 05 avril 1983 relative à l’installation des ministres et des secrétaires d’Etat, de la circulaire n° 04 du 17 mars 1995 relative à l’installation des ministres et des circulaires n° 00002 et 00003 PM/SGG/DAGE/DRHAS du 23 avril 2019 relatives à l’installation des ministres et des secrétaires d’Etat.

[5] JORS n° 7380 du 10 décembre 2020, p. 2135.

[6] V. art. 5 du décret n° 2020-2327 du 09 décembre 2020 précité.

[7] V. art. 4 du décret n° 2020-2327 du 09 décembre 2020 précité

[8] V. les circulaires n° 00002 et 00003 PM/SGG/DAGE/DRHAS du 23 avril 2019 relatives à l’installation des ministres et des secrétaires d’Etat.

[9] JORS n° 7483 du 22 décembre 2021, p. 2017.

[10] V. art. 5 du décret n° 2017-313 du 15 février 2017 instituant un secrétariat général dans les ministères (JORS du 16 février 2017, p. 227).

[11] DREAT, Etude sur les normes de création et d’organisation des structures administratives, p. 27.

1 Commentaire

  1. Malick TAMBA

    Excellent ! C’est toujours un immense plaisir de vous lire cher maître.

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

CERACLE félicite M. Bassirou Diomaye Diakhar FAYE pour son élection comme cinquième Président de la République du Sénégal

Le CERACLE a suivi, avec le plus grand intérêt scientifique, le processus électoral et se réjouit de la brillante élection de M. Bassirou Diomaye Diakhar FAYE à la magistrature suprême. Très haute considération Pr Meissa DIAKHATE

Les incohérences juridiques dans les récentes décisions du Conseil constitutionnel relative à l’élection présidentielle. Par Alioune GUEYE

Les profanes applaudissent les récentes décisions du Conseil constitutionnel sénégalais. Or, ces décisions devraient plutôt inquiéter la doctrine juridique. En ce sens que, l’esprit et la lettre de la Constitution sénégalaise ont été bafoués à bien des égards. Le seul...

Seul le Pouvoir législatif est compétent pour accorder (ou habiliter l’Exécutif à accorder) des exonérations fiscales de toutes natures ou pour décider d’une mesure d’amnistie en matière fiscale. Par Mamadou Abdoulaye SOW

Notre attention a été attirée par les termes d’un article intitulé : « Le cadeau d’au revoir de Macky Sall à la presse sénégalaise » publié hier par un média. On y lit que « le président Macky Sall a annoncé un effacement de la dette fiscale contractée par les...

Le Conseil constitutionnel, unique maître du contentieux de l’élection présidentielle. Par Mamadou Salif SANE

Les requérants agissant en qualité d’électeurs, ont saisi la Cour suprême d’un recours pour excès de pouvoir assorti d’un référé suspension contre les décrets 2024-690 du 6 mars 2024 fixant la date de la prochaine élection présidentielle, le décret 2024-691 du 6 mars...

L’injusticiablité des décrets de fixation de la date de l’élection présidentielle et de convocation du corps ÉLECTORAL. Par Ibra FAYE

Après une première interruption, le processus menant à l’élection du futur Président de la République a été relancé par la signature des décrets n°2024-690 et 2024-691 du 06 mars 2024 portant fixation de la date de l’élection présidentielle au dimanche 24 mars 2024 et...

L’utile et le désagréable : Brèves remarques sur les décisions 1/C/2024 et 5/E/2024 du Conseil constitutionnel sénégalais. Par Rodrigue Ngando Sandjè

Les décisions du Conseil constitutionnel ne lient pas le chercheur. C’est au gré de cette pensée, qui s’offre en toute logique à la lecture de la célèbre formule d’après laquelle les décisions rendues par le Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à...

La loi portant amnistie a-t-elle un avenir ? Par Meïssa DIAKHATE & Mamadou Salif SANE

Historiquement, l'amnistie était définie comme «le pardon que le Souverain accordait à ses sujets pour avoir pris les armes contre lui ». La mesure était réservée aux actes les plus attentatoires à la puissance souveraine. Aujourd’hui, elle est définie comme « la...

La première grande décision du Conseil constitutionnel sénégalais.   Par Aboubacry KEBE

Quand la démocratie est galvaudée, Quand la souveraineté populaire est confisquée, Quand l’État de droit chavire, Quand le peuple est désemparé, Il est encore possible de compter parmi ses sentinelles, et au premier plan la juridiction constitutionnelle, garante...

Le décret portant convocation du corps électoral devant la Cour suprême. Par Papa Makha DIAO

En attendant sa publication au Journal officiel (en principe ce samedi), le PDS et le Front démocratique pour une élection inclusive (FDPEI) comptent attaquer devant la Chambre administrative de la Cour suprême, le décret portant convocation du corps électoral pour...

Le pouvoir prétorien de régulation du conseil constitutionnel sénégalais : à propos de la décision n°60/E/2024 du 5 mars 2024. Par Madame Ndèye Seynabou Diop Ndione Diagne

En démocratie, la transmission du pouvoir est facilitée par le respect de la règle selon laquelle la situation du président en fin de mandat lui permet de préparer sa succession. Autrement dit, le Président de la République est tenu, en sa qualité de « gardien de la...