A propos du nouveau mode de calcul des délais de recours contre les décisions de l’ARCOP ex. ARMP devant la chambre administrative de la Cour suprême. Par Dr Papa Makha DIAO

La loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022 modifiant la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême (publiée au Journal officiel, n° 7531, numéro spécial du mardi 23 mai 2022, p. 571) a consacré, entre autres, la possibilité de saisir le juge de l’excès de pouvoir, par simple requête à la suite d’une décision rendue par l’Autorité de Régulation de la Commande publique (ARCOP), dans le délai de quinze (15) jours à compter de la notification de l’acte attaqué. Ce dispositif est une réponse aux préoccupations des acteurs de la commande publique en termes de célérité dans la phase contentieuse juridictionnelle de la passation des marchés publics et des contrats de partenariat public-privé.

Aussi faut-il rappeler que la possibilité de saisir le juge en matière de commande publique dans un bref délai a été posée par le législateur communautaire depuis 2005. En effet, l’article 12 de la directive n° 05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public fait expressément obligation aux États membres de veiller à ce que les décisions de l’autorité de régulation puissent faire l’objet d’un recours à bref délai devant un organe juridictionnel.

Ce dispositif n’a pas eu un écho favorable auprès des États membres comme le Sénégal où on constatait que le juge prenait en compte clairement l’application des délais normaux de procédure dans le contentieux des marchés publics. Ce qui fait qu’on retombait dans l’application des délais de recours ordinaires applicables devant la Chambre administrative.

Le délai de droit commun pour déférer au juge une décision d’une autorité administrative ou pour former un recours contre une décision juridictionnelle, est de deux (02) mois. Ce délai court à compter d’une mesure suffisante de publicité relative à la décision détachable attaquée. Et le juge chargé de contrôler les décisions de l’autorité de régulation des contrats de la commande publique l’a plusieurs fois rappelé dans son office. En plus, il applique le mode de computation des délais basé sur le quantième à quantième. Ainsi, les délais sont francs. Le dies a quo (le jour de la publication ou de la notification) et le dies ad quem ( le jour de l’échéance) ne sont pas comptabilisés.

Il a été ainsi ajouté dans le dispositif de la loi organique sur la Cour suprême un nouvel article 74-1 bis qui pose le principe suivant : « Le recours contre une décision rendue par l’autorité́ chargée de la régulation de la commande publique est formé par simple requête enregistrée au greffe de la Cour suprême dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l’acte attaqué. Le recours doit, à peine de déchéance, être signifié à la partie adverse dans les quinze jours suivant le dépôt de la requête.

La partie adverse peut produire un mémoire en défense dans le mois suivant la signification du recours. Passé ce délai, le président de la chambre saisie fixe, immédiatement, la date à laquelle l’affaire sera portée à l’audience ».

La Cour suprême, dans son arrêt n° 21 du 09 mars 2023, la Société Wade Technologie Company c/ ARMP, a eu l’opportunité de le rappeler à la société requérante et aux conseils, qui peut-être, n’étaient pas au courant de la modification de la loi organique sur la Cour suprême.

En l’espèce, la société sollicitait l’annulation de la décision n° 063/2022/ARMP/CRD/DEF du 30 juin 2022 du Comité de Règlement des Différends (CRD) de l’Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP) rejetant son recours contestant les spécifications techniques contenues dans le Dossier d’Appel d’Offres (DAO) du marché relatif à l’acquisition de deux vedettes de surveillance, lancé par l’Agence nationale des Affaires maritimes (ANAM).

Dans son raisonnement, la Cour rappelle d’abord l’alinéa premier de l’article 74-1 bis de la loi organique sur la Cour suprême selon lequel le recours contre une décision rendue par une autorité de régulation de la commande publique est formé par simple requête enregistrée au greffe de la Cour suprême, dans le délai de (15) quinze jours à compter de la notification de l’acte attaqué. Ensuite, pour les juges de la haute juridiction, il ressort de l’examen des pièces du dossier que ladite société, qui a reçu notification de la décision attaquée le 21 juillet 2022, n’a introduit son recours contre ladite décision que le 21 septembre 2022, soit au-delà du délai légal. Enfin, le recours de la société Wade Technology Company contre la décision n°063/2022/ARMP/CRD/DEF du 30 juin 2022 du Comité de Règlement des Différends (CRD) de l’Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP) est déclaré irrecevable. Dans cette affaire, le recours a été introduit au-delà du délai énoncé par le nouvel article 74-1 bis de la loi organique sur la Cour suprême.

Il y a lieu de préciser que les articles 90 et 91 du décret portant Code des Marchés publics (Journal officiel n° 7592, numéro spécial, jeudi 26 janvier 2023, p. 79) prévoient un délai de traitement des litiges en 18 jours, c’est-à-dire de la publication de l’attribution provisoire au prononcé de la décision du Comité de Règlement des Différends de l’ARCOP (Voir à ce sujet la communication de l’ARMP et du Pr M. ZOUANKEU sur la computation des délais de recours en matière de litiges dans les marchés publics s’effectuant en jours francs et ouvrés, disponible sur www.igfm.sn). Autant en enfermant les concurrents évincés et tiers intéressés à saisir le juge dans le délai de 15 jours à partir des mesures de publicité suffisantes, autant le législateur organique n’a pas fixé un terme au juge pour statuer dans le délai raisonnable. Ainsi, il faudrait à l’avenir circonscrire le juge dans des délais précis (surtout en matière de commande publique) pour statuer efficacement, c’est-à-dire avant tout risque de signature de la convention.

Par Dr Papa Makha DIAO

Chercheur en droit de la commande publique

E-mail : papmakha@yahoo.fr

 

 

 

 

4 Commentaires

  1. S. SENGHOR

    Bonjour.
    Votre article est très pertinent. Sa syntaxe et son raisonnement sont impeccables.
    Merci de nous avoir partagé le sacrifice de certaines de vos aimables connaissances.
    Je souhaite en savoir plus.

    Réponse
  2. SENGHOR

    Bonjour.
    Votre article est très pertinent. Sa syntaxe et son raisonnement sont impeccables.
    Merci de nous avoir partagé le sacrifice de certains de vos aimables connaissances.

    Réponse
  3. Ciisé

    Bonjour M. DIAO. Vos articles sont toujours attendues. Merci pour cette générosité intellectuelle.

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

L’école sénégalaise : L’anglais à l’élémentaire : oui, mais… Par Dr Amar GUEYE 

L'actualité de ces derniers temps est à l’introduction de l’enseignement de l’anglais à l'école élémentaire qui a déclenché un enthousiasme débordant au niveau de l’opinion (« Nouveauté dans l’éducation : l’anglais dès ‘la CM1’. The children will speak...

L’article 87 de la constitution, une entrave à la volonté du peuple sénégalais de changer de paradigme. Par Hamidou CAMARA

La théorie de la séparation des pouvoirs se définit comme la doctrine constitutionnelle prônant la spécialisation des fonctions exercées par les organes de l'État afin d'éviter le cumul de tous les pouvoirs dans une même autorité. Le principe de séparation des...

Quel est l’ordre de priorité en session extraordinaire ? Par Meissa DIAKHATE

L’ordre de priorité dans la procédure parlementaire est une interrogation qui ne saurait trouver sa réponse que dans la compréhension de la configuration du régime politique. Notre régime politique présente la particularité de rationaliser les rapports entre...

Dissolution de l’Assemblée nationale et droit budgétaire. Par Birahime SECK

"L'Assemblée nationale dissoute ne peut se réunir. Toutefois, le mandat des députés n'expire qu'à la date de la proclamation de l'élection des membres de la nouvelle Assemblée nationale".  Avec ce dernier alinéa de l'article 87 de la Constitution, je me demande...

Le rejet du projet de loi en Commission a-t-il un effet utile ? Par Pr Meïssa DIAKHATE

La Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains vient de rompre l’habitus parlementaire qui consistait à bannir, systématiquement, les projets de loi. Oui, notre Assemblée nationale perpétue une tradition bien sénégalaise, à savoir une...

Pour comprendre l’Administration publique. Par Meïssa DIAKHATE, Agrégé de Droit public

  Pour comprendre l’Administration publique   Ba Oumar El Foutijou Bâ, Djibel NdaoL’administration publique face au défi de la performance dans les pays de l’UEMOAL’Harmattan-Sénégal, 2021181 p.Bureau Organisation et MéthodesLe BOM au service de la...

Vers  la  création  d’une Cour Constitutionnelle au Sénégal : Contribution au débat. Par Dr.  Ibrahima  MANDIANG

La décision de créer une Cour Constitutionnelle est une décision du pouvoir constituant originaire[1], mais il arrive qu’à titre provisoire, cette création ou cette modification soit le fait du législateur organique ou spécial ou même ordinaire[2], suivant les...

Faut-il Supprimer l’Assemblée Nationale ? Le Souverain Dérivé, Un Modèle Inefficace Et Dépassé. Par Arona Oumar KANE

L’analyse des listes de candidats investis aux élections législatives sénégalaises de 2022 révèle une anomalie statistique majeure qui permet de comprendre la faiblesse du niveau constaté chez les parlementaires de cette nouvelle législature. Les deux professions les...

Essai sur l’artisanerie jurisprudentielle : réflexion sur l’Arrêt n°0020-1998 du Conseil d’État sénégalais et le recours pour excès de pouvoir ? Par Modou Mbacké

L’arrêt n°0020 du 20 août 1998, rendu par le Conseil d’État du Sénégal, incarne une décision jurisprudentielle d’une importance capitale, tant par les enjeux qu’elle soulève que par la rigueur de son analyse juridique. Cet arrêt, s’inscrivant dans un contexte...

De la renégociation des contrats pétroliers. Par YAHYA AHMADOU SY

Dans un contrat d'État pour les ressources en hydrocarbures, les clauses financières sont très contrôlées par toutes les parties impliquées. Cela signifie que ces parties examinent attentivement les aspects financiers du contrat. En ce qui concerne la relation entre...