L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) face aux défis de gouvernance du Sénégal : quel repositionnement stratégique ?

Pour comprendre l’importance de l’ITIE dans l’architecture institutionnelle et de gouvernance du pays, il faut jeter un regard rétrospectif sur la situation qui a prévalu avant l’adhésion du pays à cette initiative en 2013 : absence de données fiables sur la production, les exportations, les revenus du secteur extractif et leur contribution au budget de l’Etat, cloisonnement des administrations qui empêchait un suivi coordonné par les différentes administrations, faiblesse des systèmes d’information des administrations en charge du secteur extractif, et absence d’information pour la société civile, l’Assemblée nationale et les corps de contrôle ; environnement hautement spéculatif basé sur des conjectures et des suspicions qui minaient l’environnement des affaires, etc. L’adhésion du Sénégal à la Norme ITIE dans ce contexte, a permis au pays d’évaluer ses textes et sa pratique à l’aune des bonnes pratiques internationales, offrant une opportunité de benchmark avec plus de cinquante (50) de pays. Après dix (10) ans de mise en œuvre de l’ITIE et en dépit des efforts de mainstreaming, l’ITIE reste la première source d’information de qualité sur le secteur extractif (paiement des entreprises, données de production et exportations, déclaration des régies financières, statistiques sur l’emploi et les transactions avec les fournisseurs, contribution au PIB, etc.) ; ce qui permet de renforcer le débat public. Par conséquent, un certain nombre d’acquis sont perceptibles :

  • Engagement des parties prenantes au plus haut niveau (administrations, société civile et secteur privé) ;
  • Réduction de l’asymétrie informationnelle dans le secteur extractif ;
  • Accès des citoyens à des informations fiables et exhaustives sur toute la chaîne de valeur du secteur extractif à travers les rapports annuels publiés ;
  • Amélioration substantielle des systèmes d’information dans les secteurs miniers, pétrolier et gazier, et au niveau des régies financières ;
  • Mobilisation des recettes extractives et leur comptabilisation effective dans le budget de l’Etat ;
  • Deux validations réussies avec des progrès satisfaisants en 2018 et un score très élevé en 2021 ;
  • Impulsion de plusieurs réformes juridiques dans le secteur extractif (bénéficiaires effectifs, fiscalité minière, fonds de péréquation et d’appui aux collectivités territoriales, contenu local…) ;
  • Mise en place d’un registre des bénéficiaires effectifs des sociétés extractives ;
  • Reconnaissance internationale matérialisée par la tenue à Dakar de la première conférence mondiale de l’ITIE en Afrique à l’occasion du 20ème anniversaire de l’ITIE internationale en 2023.

Cependant, au regard de sa position transversale et du rôle central des données dans la planification et le suivi des politiques publiques, le Sénégal pourrait tirer bien plus de cette belle institution qu’est l’ITIE, dont la valeur inestimable des données fournies n’a d’égal que sa contribution à la gouvernance des secteurs minier, pétrolier et gazier, voire au pilotage de la politique économique du pays.

En effet, pour réaliser pleinement son potentiel, l’ITIE ne doit pas se cantonner à la production de rapports destinés à suivre les exigences de la Norme. De même, elle ne saurait continuer à subir le débat sur le secteur extractif face à un public de plus en plus demandeur et une presse engagée. Elle peut jouer un rôle de Conseil pour l’Etat dans les processus de révision des contrats ; renforcer l’analyse des exigences de l’ITIE mondiale (déclaration des bénéficiaires effectifs, divulgation des coûts et des réserves, analyse des scénarios budgétaires…) ; aider dans l’implémentation et le suivi des Fonds que le Sénégal peine à mettre en œuvre ; assurer un suivi des investissements réalisés à partir des fonds intergénérationnels ; identifier les reformes à mettre en œuvre pour renforcer la régulation, éviter les conflits sociaux ou prendre en charge les défis émergents, liés à l’exploitation pétrolière et gazière…

En plus d’élargir le périmètre des entreprises et entités déclarantes permettant à l’Etat d’avoir une vision globale du secteur ; l’ITIE peut être un cadre de dialogue avec les administrations permettant aussi de remonter les préoccupations des investisseurs.

De telles orientations ne seraient possibles que si les nouvelles autorités envisageaient les mesures suivantes :

  • Transformer la structure de l’ITIE en une autorité administrative indépendante avec une obligation de soumettre des rapports circonstanciés et conjoncturels sur l’évolution des dynamiques du secteur pétrolier, gazier et minier ;
  • Institutionnaliser l’ITIE comme organe consultatif et comme un partenaire clé pour les ministères (mines, finances, environnement) en matière d’évaluation des politiques publiques extractives ;
  • Promouvoir des partenariats avec l’Assemblée nationale, les milieux de recherches et Centres d’excellence pour l’innovation et l’expérimentation de projets pilotes impliquant les communautés ;
  • Utiliser les ressources offertes par le mécanisme de l’ITIE au service de la nouvelle vision stratégique du secteur extractif orientée vers la maximisation des retombées socioéconomiques tant au niveau national qu’à l’échelle régionale ;
  • Élargir la portée et l’impact des données collectées en intégrant des mécanismes d’analyse prédictive pour anticiper les tendances du secteur (par exemple, les flux de revenus ou les besoins en infrastructures). Cela pourrait se faire via des partenariats avec des institutions de recherche, telles que l’ANSD ;
  • Utiliser l’ITIE au service de la captation de la valeur ajoutée et du développement durable.

Par

Elhadj Amath Diallo, Secteur privé, ancien membre du Comité national ITIE

Abdou Aziz Diop, Société civile, ancien membre du Comité national ITIE

Dr Moustapha Fall, Enseignant-chercheur, ancien Responsable Aff. Juridiques ITIE

Cheikh Tidiane Touré, Consultant, ancien Secrétaire permanent de l’ITIE

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