Le Sénégal, à l’instar de nombreux pays, s’est aligné sur la logique mondiale de protection des enfants. Certes, bien avant l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant (CDE), l’Etat du Sénégal avait déjà mis sur pied des mécanismes de protection des mineurs. Mais, il est judicieux de souligner que cette protection a connu une toute nouvelle tournure. Elle a instauré une approche holistique de la protection de l’enfant, à travers la reconnaissance de principes fondamentaux, ainsi que le renforcement des obligations des Etats parties.
Ce mouvement de protection, comme partout, s’appuie sur deux branches incontournables, en la matière. A ce titre, les Etats ont mis en place des stratégies en matière de politiques publiques pour assurer aux enfants leur plein épanouissement. Parallèlement, au plan juridique, leurs différents droits ont connu des codifications, en vue de leur garantir une enfance apaisée. Le Sénégal a adhéré à cette évidence, puisqu’il a dans son corpus juridique interne beaucoup de lois traitant la question de l’enfance : sous l’angle de la protection. Donc, le législateur sénégalais s’est inscrit dans cette dynamique. Ce qui est bien lisible d’ailleurs dans le code de procédure pénale : l’assistance éducative étant érigée en mécanisme de prise en charge de l’enfant en situation de vulnérabilité.
Par assistance éducative, selon Henri GALAND, on peut appréhender « un ensemble de mesures d’aide et de contrôle, ordonnées par le juge des enfants, à l’égard d’un mineur non émancipé dont la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises par des difficultés que ses parents ne parviennent pas à surmonter seuls ».
Il est important de souligner que l’assistance éducative est un mécanisme de prise en charge vaste, c’est pourquoi pour les besoins de ce travail, nous insisterons uniquement sur son rôle relatif aux mineurs en situation de vulnérabilité en lien avec la délinquance. Ainsi, nous ne traiterons pas les autres catégories d’enfants qui peuvent aussi bénéficier d’une telle mesure.
Analyser la protection judiciaire des mineurs au Sénégal à travers l’assistance éducative est crucial pour saisir un mécanisme essentiel de sauvegarde de l’enfance en situation de vulnérabilité. C’est un travail qui permet d’identifier les contours de ce dispositif important relatif au respect des droits de l’enfant.
Pour ce faire, il devient capital de se poser la question centrale suivante : comment saisir l’assistance éducative dans le cadre de la protection judiciaire des mineurs au Sénégal ?
Pour répondre à cette interrogation, nous articulerons notre analyse en deux temps : premièrement nous aborderons l’assistance éducative, un levier contre la délinquance juvénile (I) et deuxièmement, nous traiterons ses implications (II).
- L’assistance éducative, un levier contre la délinquance juvénile
Le président du tribunal pour enfants est l’autorité judiciaire compétente pour prendre des mesures d’assistance éducative. Il préside également cette juridiction en matière correctionnelle. Sa position de protecteur des enfants conférée par le code de procédure pénale fait qu’il peut agir en amont de la commission d’une infraction. A ce niveau, l’assistance éducative devient une mesure de prévention contre la délinquance juvénile (A). Suivant, toujours la procédure pénale, un mineur peut bénéficier d’un classement sans suite, d’une ordonnance de non-lieu, ou faire l’objet d’une relaxe. Dans ce cas précis, le juge pour enfants peut toujours agir en collaboration avec l’AEMO (l’Action Educative en Milieu Ouvert) pour protéger l’enfant. L’assistance éducative devient une mesure d’ajustement (B).
- L’assistance éducative une mesure de prévention contre la délinquance juvénile
Rappelons qu’à la lumière de l’article 594 du code de procédure pénale, le législateur a mis en avant les situations qui caractérisent l’enfance en danger. C’est pourquoi les mineurs « dont la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises, peuvent faire l’objet de mesures d’assistance éducative ». Il revient aux professionnels de la protection judiciaire et sociale d’établir à travers une enquête sociale destinée au juge la situation de danger qui mérite une mesure de protection.
Un mineur en danger, c’est un mineur exposé entre autres aux facteurs pouvant le conduire vers la commission d’actes délinquants. A ce titre, l’influence négative des pairs et du milieu social ou encore un dysfonctionnement du cercle familial peuvent faciliter la transgression des règles par le mineur. Ceci n’est qu’un aperçu des dangers qui guettent un enfant en situation de vulnérabilité. Par ailleurs, cette complexité et cette diversité des situations de danger combinées à la nécessité d’une intervention d’urgence et protectrice ont été comprises par le législateur. C’est pourquoi, il a conféré à beaucoup de personnes la possibilité de saisir le président du tribunal pour enfants par requête, en vue de prendre une mesure d’assistance éducative. A ce sujet, selon l’article 595 du code de procédure pénale, hormis la saisine d’office du Président du tribunal pour enfants, il peut recevoir une requête « du père, de la mère, de la personne investie ou non du droit de garde, du mineur lui-même ou du Procureur de la République ». Toujours est-il que la requête « peut être présentée également par un représentant habilité d’un service spécialisé, judiciaire ou administratif».
Ici, l’assistance éducative a un but préventif et protecteur. Ainsi, même en l’absence de la commission de l’infraction, l’intervention de l’éducateur sera guidée par l’intérêt supérieur de l’enfant, quand ses conditions de vie ou l’univers familial ou social dans lequel il évolue le mettent en danger. Donc ce travail aura ces résultats en ligne de mire :
- Soutenir les parents ou le tuteur dans l’exercice de l’autorité parentale dans l’intérêt supérieur de l’enfant ;
- Minimiser la situation de danger afin qu’elle ne s’aggrave ;
- Participer au renforcement de son droit à l’éducation ;
- Faciliter son développement moral ; …
C’est une mesure de protection qui joue fondamentalement un rôle de rempart contre la commission d’infraction ou l’adoption de comportements asociaux qui entrent dans le cadre de la déviance.
Elle peut aussi participer à l’ajustement éducatif de l’enfant, notamment lorsque celui-ci a déjà manifesté des comportements déviants ou s’est rapproché de la transgression des règles établies.
Voyons donc son rôle d’ajustement
B. L’assistance éducative, une mesure d’ajustement
Le classement sans suite, l’ordonnance de non-lieu et la relaxe sont des décisions judiciaires qui mettent fin aux poursuites ou qui libèrent l’individu. Que la personne poursuivie soit un majeur ou un mineur. La particularité chez ce dernier, c’est la possibilité offerte au parquet de prendre des mesures éducatives au lieu de le poursuivre. En effet, le code de procédure pénale à travers l’article 570 évoque la possibilité d’une médiation pénale et l’article 572 fait référence à l’admonestation, surtout pour un délinquant primaire.
Le juge d’instruction, quant à lui, peut prendre une ordonnance de non-lieu, s’il estime qu’il n’existe pas suffisamment de charges contre l’inculpé mineur.
Devant le tribunal pour enfants, le mineur poursuivi peut être relaxé.
Après toutes ces situations, l’AEMO aura la latitude, de concert avec les parents d’enclencher une procédure d’assistance éducative. C’est vrai, le mineur n’a pas été reconnu coupable et n’a pas commis un acte infractionnel. Néanmoins, il est constant qu’il s’est retrouvé en situation de danger, dès lors qu’il a fait l’objet de poursuites. En réalité, l’autorité judiciaire compétente peut considérer que l’enfant se trouvait dans un environnement propice à la délinquance. C’est la raison pour laquelle l’assistance éducative devient alors une mesure d’ajustement visant à protéger le mineur et à éviter qu’il se trouve à nouveau dans une situation similaire.
En outre, elle peut être perçue comme une mesure d’ajustement lorsque la prise en charge psychoéducative consiste à apporter de l’aide à l’enfant, afin qu’il puisse surmonter l’épreuve de la poursuite pénale. Il est clair qu’elle peut avoir des répercussions psychologiques et sociales. Par conséquent, l’intervention des professionnels de la protection judiciaire et sociale aura pour but de réparer un préjudice moral et d’orienter la cible vers des perspectives fructueuses.
En somme, l’assistance éducative est un pilier contre la délinquance juvénile. Pour ce faire, après avoir pris une mesure allant dans ce sens, le juge des mineurs donne mandat aux éducateurs spécialisés de mener le suivi et le travail éducatif au profit de l’enfant en danger. C’est à ce niveau qu’on peut s’intéresser à ses implications.
II. Les implications de l’assistance éducative
Au Sénégal, la Direction Générale de la Protection Judiciaire et Sociale (DGPJS) est l’organe compétent pour la mise en œuvre des implications de l’assistance éducative. Dans l’enquête sociale, l’AEMO proposera une mesure adéquate à la situation du mineur. De ce fait, il peut être décidé de le suivre en milieu ouvert (A). Toujours, sur la base de l’enquête sociale, l’équipe éducative peut suggérer le placement en centre du mineur (B).
- Le suivi en milieu ouvert
Parmi les palettes de possibilités offertes au Président du tribunal pour enfants à l’article 602, figure le placement en milieu ouvert du mineur. A cet égard, l’enfant reste au sein de son univers familial. L’AEMO, par l’intermédiaire des éducateurs spécialisés visera à soutenir les parents et à apporter une aide éducative à l’enfant. L’objectif est surtout de résoudre les difficultés rencontrées par le mineur et sa famille.
Pour ce faire, l’AEMO effectue des visites à domicile et des entretiens avec le mineur et ses parents, s’il est scolarisé, avec le corps enseignant. Elle procède à des accompagnements au plan administratif et scolaire. Elle peut également orienter la famille vers d’autres services. A noter que pour une efficacité du suivi, l’adhésion de la famille est nécessaire.
Ainsi, en mettant en œuvre la mesure d’assistance éducative, l’éducateur spécialisé aura des informations par rapport à la situation du mineur en danger. De ce fait, il doit adresser des rapports périodiques au Président du tribunal pour enfants. Ce dernier, une fois édifié sur la situation de l’enfant, peut maintenir la mesure, pour la continuité du suivi. Il peut aussi réajuster, sur proposition de l’AEMO, en vue d’un placement en centre. Il n’est pas exclu de prononcer une mesure de mainlevée, pour plusieurs raisons, même si l’accompagnement éducatif peut aller jusqu’à 21 ans, car il prend en compte le suivi des jeunes majeurs.
B. Le placement en centre
Le placement en centre de l’enfant constitue la deuxième implication d’une mesure d’assistance éducative. En effet, il est souvent envisagé lorsque le maintien en milieu ouvert du mineur n’est pas adéquat pour lui garantir une bonne protection.
Au titre des services déconcentrés de la DGPJS, l’article 57 du décret 2024-792 du 26 mars 2024 modifiant le décret 2023-679 du 23 mars 2023 portant organisation du Ministère de Justice énumère les centres devant accueillir les mineurs sur décision judiciaire. Indifféremment du type de centre, le processus de mise en œuvre de l’assistance éducative diffère ici du suivi en milieu ouvert. Qu’il soit en centre fermé ou en centre semi-fermé, la principale distinction réside dans le fait que l’enfant n’est pas suivi dans son environnement familial.
Il est accueilli par l’équipe éducative, dès son arrivée au centre. Le premier contact est primordial, puisqu’il permettra aux éducateurs spécialisés : de recueillir des informations (même si l’enquête sociale élaborée par l’AEMO peut fournir certains renseignements) et d’évaluer la situation de l’enfant. C’est à la suite de cette phase qu’un projet éducatif pourra être défini au profit du mineur. Il doit prendre en compte les objectifs du placement, les besoins spécifiques de la cible et les modalités de suivi.
A l’instar du suivi en milieu ouvert, le placement en centre se fait sous l’autorité du juge des mineurs. Sous ce rapport, l’équipe éducative élabore des rapports périodiques à l’attention du Président du tribunal pour enfants. Ils exposent tous les éléments utiles pouvant décrire l’évolution et la situation du mineur, dans l’optique d’informer exhaustivement l’autorité judiciaire. Sur proposition des professionnels de la protection judiciaire et sociale, elle peut maintenir la mesure, la modifier ou y mettre fin.
En définitive, l’analyse de la protection judiciaire des mineurs au Sénégal sous le prisme de l’assistance éducative révèle l’existence d’un mécanisme judicaire bien structuré visant à prendre en charge les mineurs en situation de vulnérabilité. Un dispositif qui intègre divers professionnels. Si tout se fait sous l’autorité constate du juge des mineurs, les éducateurs spécialisés assurent de fond en comble l’assistance psychoéducative.
Ce mécanisme des professionnels de la protection judiciaire et sociale se manifeste à deux niveaux. Ils interviennent en prévention de la délinquance juvénile, mais aussi en ajustement, surtout lorsque le mineur a été au contact de l’appareil judiciaire. Pour ce faire, les éducateurs spécialisés disposent de cadres variés pour intervenir : qu’il s’agisse du milieu ouvert ou de la prise en charge en centre. Des implications d’une mesure d’assistance éducative leur permettant d’assurer à l’enfant un suivi efficace visant le changement de comportement.
Ces lignes témoignent du rôle crucial de l’éducateur spécialisé dans le dispositif de protection. Son expertise et ses observations auprès des mineurs sont essentielles, non seulement dans le cadre judiciaire, mais également au-delà, car ce professionnel intervient à la fois autour du social et de l’éducatif. C’est pourquoi, l’assistance éducative, bien qu’elle soit une mesure judiciaire, peut être analysée plus largement sous l’angle de la protection sociale.
Par Moustapha SYLLA, éducateur spécialisé à l’AEMO de Linguère/ Ministère de la Justice
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