L’agent public de santé astreint au secret médical est-il tenu de signaler un cas de mutilation génitale féminine dont il a connaissance ?
Les mutilations génitales féminines (MGF) sont définies comme des interventions incluant « l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou tout autre lésion des organes génitaux féminins pratiquées pour des raisons non médicales ». Elles sont pratiquées sur des femmes et des filles d’âges divers, le plus souvent jusqu’à l’âge de 15 ans, et parfois sur des femmes adultes, dans des conditions difficiles, sans anesthésie, à l’aide de ciseaux, de lames de rasoir ou d’éclats de verre. Au Sénégal, la pratique est très répandue et touchait, en 2019, environ 25% des femmes âgées de 15-49 ans (EDS-C 2019), soit une hausse de 2 % par rapport à 2018 où le taux était de 23% (EDS-C-2018). Chez les filles de moins de 15 ans, le taux est de 15% avec des disparités selon les régions.
Les MGF violent des droits humains fondamentaux, notamment le droit à l’intégrité physique et mentale, le droit à la santé, le droit à l’égalité, les droits de l’enfant, etc. Ils entrainent, pour les filles qui en sont victimes, de graves complications sanitaires avec des risques d’hémorragies, de chocs, d’infections, de rétentions d’urine et de douleurs intenses, accroissant ainsi les probabilités de mortalité infantile ou maternelle. Ces filles courent ainsi le risque d’hypothéquer leur éducation, leur épanouissement et leur capacité à se construire un futur meilleur.
Pratique préjudiciable, les mutilations génitales féminines sont interdites par le législateur sénégalais. Le Code pénal dispose, en effet, que « sera puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans quiconque aura porté ou tenté de porter atteinte à l’intégrité de l’organe génital d’une personne de sexe féminin par ablation totale ou partielle d’un ou de plusieurs de ses éléments, par infibulation, par insensibilisation ou par tout autre moyen ».
Le signalement de la pratique est très important pour susciter l’action des pouvoirs publics et contrecarrer la volonté des tenants de la pratique. Et, pour cela, les agents publics de santé qui, souvent, sont en contact avec les femmes et les filles dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, peuvent jouer un rôle très important. En effet, ils peuvent détecter une mutilation à l’occasion d’un acte médical. En pareille situation, ils ont l’obligation de la signaler à l’autorité judiciaire si l’on suit le raisonnement de l’article 32 alinéa 2 du Code de Procédure pénale qui dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au Procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès- verbaux et actes qui y sont relatifs ».
Mais, nous savons également que les agents publics, et plus particulièrement ceux qui évoluent dans le secteur de la santé, sont aussi astreints au secret professionnel. Restent-ils, dès lors, toujours tenus par l’obligation de signalement ?
- L’intégrité de la personne, un intérêt plus impérieux que la préservation du secret professionnel
Le secret professionnel est très important. C’est un principe reconnu, surtout dans le domaine de la santé, où il est primordial de préserver le nécessaire lien de confiance entre la personne qui souffre et le professionnel qui doit remédier à cette souffrance. Sa violation est expressément proscrite par le législateur même si des cas où l’on autorise la dénonciation sont aussi prévus. En effet, l’article 363 du Code pénal dispose que les médecins, chirurgiens, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie qui auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 50.000 à 300.000 francs. Cette même disposition tempère l’obligation en prévoyant qu’il peut y avoir des situations où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs. De même, le Code de déontologie médicale, en son article 7 relatif au secret médical, dispose que dans certains cas prévus par la loi, la personne peut en être déliée.
La pratique des mutilations génitales féminines étant constitutive de délit, les professionnels de santé, en l’occurrence les médecins, les sages-femmes, les infirmiers, les pharmaciens ayant la qualité d’agent public de santé, et même au-delà, tous les agents publics, sont tenus de les signaler dès lors qu’ils en ont connaissance, malgré qu’ils soient astreints au principe du secret professionnel.
L’agent public de santé qui a décelé une mutilation génitale féminine et qui pouvait, face à une telle situation être confronté à un dilemme, un conflit de valeurs lui imposant de choisir entre se taire en vertu du secret professionnel, ou révéler une confidence en vue de porter secours à une personne et faire punir un acte répréhensible, doit choisir la seconde option. L’intégrité physique ou morale de la personne est plus impérieuse que la préservation du secret professionnel.
- Les faiblesses du dispositif
Tout d’abord, il n’y a aucune précision sur le contenu et les modalités du signalement. Ensuite, le défaut de signalement n’est assorti d’aucune sanction pénale, alors qu’une sanction pénale efficace et proportionnée pourrait inciter à dénoncer les MGF et, au-delà, toutes formes de violences, de mauvais traitements et sévices sur les femmes, les filles et les enfants.
En plus des insuffisances de la loi, les agents publics rechignent à signaler les cas de MGF en raison des pressions sociales qu’ils peuvent subir. En effet, les pesanteurs sociologiques et culturelles constituent encore de lourds freins à l’action gouvernementale dans le cadre de la lutte de contre les MGF.
Par Thierno Daouda DIALLO
Juriste en service à la Direction de la Famille
et de la Protection des groupes vulnérables
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