La théorie de la séparation des pouvoirs se définit comme la doctrine constitutionnelle prônant la spécialisation des fonctions exercées par les organes de l’État afin d’éviter le cumul de tous les pouvoirs dans une même autorité. Le principe de séparation des pouvoirs, théorisé en premier lieu par John Locke dans son ouvrage Essai sur le gouvernement civil en 1690, en ces termes : « la tentation serait trop grande pour la fragilité humaine qui se laisserait vite entraîner à s’emparer du pouvoir, si les mêmes personnes qui ont le pouvoir de faire des lois, avaient également entre leurs mains le pouvoir de les exécuter. », puise sa source originelle dans l’histoire constitutionnelle britannique.
Autant dire, il convient de rappeler que cette technique constitutionnelle visant à éviter le despotisme a été reprise par tous les États qui se réclament démocratiques. La constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 proclame la séparation et l’équilibre des pouvoirs conçus et exercés à travers des procédures démocratiques. Cette séparation des pouvoirs n’étant pas l’isolement du pouvoir qui aboutirait, pour notre part, à la paralysie de l’État, il revient constamment au droit, la régulation des rapports entre les pouvoirs politiques tels que le pouvoir exécutif ( le Président de la République et le Gouvernement ) et le pouvoir législatif. C’est dans cette perspective que s’inscrit l’article 87 de la Constitution qui dispose : « Le Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier Ministre et celui du Président de l’Assemblée nationale, prononcer, par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale. Toutefois, la dissolution ne peut intervenir durant les deux premières années de législature. Le décret de dissolution fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu soixante (60) jours au moins et quatre-vingt dix (90) jours au plus après la date de publication dudit décret… »
C’est justement autour de cet article 87 de la Constitution sénégalaise que tournera notre réflexion en corrélation avec le message exprimé par le peuple sénégalais au soir du 24 mars 2024 qui n’est autre que le désir d’un changement de paradigme dans sa gouvernance et à tout point de vue.
Eu égard à toutes ces considérations, il nous reste à mener une analyse non seulement sous-tendue par le droit, mais encore et surtout adossée sur la fonction sociale de tout universitaire lorsque des questions qui engagent l’avenir de la nation sont au devant de l’actualité.
L’article 87 de la Constitution sénégalaise encadre la prérogative de dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République. Aux termes de cette disposition en vigueur, ce dernier ne peut dissoudre l’Assemblée nationale avant l’expiration d’un délai de deux (2) ans qui suit son installation. Par ricochet, la présente législature ne pourra être légalement écourtée qu’après le 12 septembre 2024 en ce qu’elle a été installée le 12 septembre 2022. En d’autres termes, le nouveau Président de la République du Sénégal, Son Excellence Bassirou Diomaye Faye élu à l’issue du scrutin du 24 mars ne peut procéder à l’acte de dissolution qu’après six (6) mois suivant sa prestation de serment. L’article 37 de la Constitution dispose : « le Président de la République est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant le Conseil constitutionnel en séance publique… ». Une lecture minutieuse de cet article 87 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 nous permet d’affirmer, sans risques d’être démenti, que le tout nouveau Président de la République du Sénégal, élu au premier tour avec 54,28%, est l’homme du pouvoir, mais qui ne le sera effectivement que s’il a les pouvoirs nécessaires pour gouverner. En clair, il se trouve dans une situation extrêmement compliquée dans la mesure où, pour mettre en œuvre le « Projet » articulé autour de politiques de rupture promises, il devra négocier, concéder. De facto, c’est un Président qui va vivre la « cohabitation » avec la majorité, même précaire, de Benno Bokk Yaakaar. C’est dire que les aspirations du vaillant peuple sénégalais, clairement affirmées au soir du 24 mars 2024, que je qualifie à un désir profond de changement de paradigme dans la conduite des affaires publiques, deviennent conditionnées par les contingences politiques adossées sur le phénomène majoritaire. En pareille occurrence, des réformes de fond peuvent se voir rejetées par l’Assemblée nationale. Le récent rejet du projet de loi portant révision de la Constitution, visant la dissolution du Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT) et du Conseil économique, social et environnemental (CESE) par l’Assemblée nationale, renseigne à suffisance sur cette lancinante problématique dans un contexte particulier attisé par la nécessité de rationaliser les dépenses publiques.
C’est pourquoi, nous considérons que cet article 87 de la Constitution constitue une entrave à la volonté du peuple sénégalais de changer de paradigme dans sa gouvernance dans tous ses aspects, d’où l’urgence d’aller vers une proposition ou projet de loi à l’effet d’obtenir sa révision d’autant qu’au regard du droit positif sénégalais, les dispositions de cet article sont révisables, n’étant pas constitutionnellement comptabilisées parmi les clauses d’éternité.
Aux termes de l’article 103 de la Constitution, « l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et au députés ».
Par Hamidou CAMARA
Maître en Droit Public
Merci pour l’éclaircissement
C’est intéressant !