L’actualité de ces derniers temps est à l’introduction de l’enseignement de l’anglais à l’école élémentaire qui a déclenché un enthousiasme débordant au niveau de l’opinion (« Nouveauté dans l’éducation : l’anglais dès ‘la CM1’. The children will speak english » titrait un journal) au risque de créer beaucoup de désillusions au rythme où vont les choses.
Langue du commerce, de la science et de la technique, de l’aviation, de l’informatique, de la diplomatie, du tourisme, de la communication internationale, l’anglais est aujourd’hui largement pratiqué dans le monde au point de devenir la langue la plus parlée à l’international. Aussi, la pertinence de son apprentissage ne fait-il l’objet d’aucun doute pour quiconque voudrait être en phase avec les exigences du monde contemporain. Dès lors, la question du « pourquoi » de son introduction à l’élémentaire ne se pose plus mais plutôt celle du « comment ».
Sous ce rapport, je voudrais, de prime abord, dire que je suis un chaud partisan des langues et de toutes les langues à l’école mais en se conformant, au-delà de l’impératif de l’expérimentation, aux exigences des priorités et à certaines considérations scientifiques et techniques. Mais ce que j’ai, jusque-là, lu et entendu sur la question ne me rassure guère. C’est pourquoi, ne pouvant rester à regarder en spectateur ce qui se passe sous nos yeux, j’ai décidé de prendre ma plume pour exprimer quelques préoccupations relatives à un certain nombre de points.
1/ La direction porteuse du dossier : J’ai vu la Direction de l’Enseignement Moyen Secondaire Général/DEMSG et le Bureau Technique de l’Enseignement de l’Anglais/BTEA s’activer et communiquer sur la question de l’introduction de l’enseignement de l’anglais à l’Elémentaire. La gestion de cette initiative devrait concerner, au premier chef, la Direction de l’Enseignement Elémentaire/DEE. Innovation d’envergure, elle va avoir inéluctablement des répercussions sur la gestion globale de ce cycle : détermination du quantum horaire, réaménagement des emplois du temps, reprofilage éventuel du Certificat de Fin d’Etudes Elémentaires/ CFEE…. Et là, je me suis dit que jusqu’à une date récente, en tout cas, tout ce qui touchait à l’enseignement élémentaire relevait principalement de la DEE ; alors je me suis demandé ce qui se passe pour qu’il n’en soit plus le cas au risque de créer inutilement, des frustrations et dysfonctionnements préjudiciables à l’initiative. La DEMSG, le BTEA de même que le British Council devront, néanmoins, être nécessairement parties prenantes dans ce travail qui se doit d’être inclusif et participatif.
2/ La structure en charge de la formation des enseignants : Si j’ai bien suivi, on nous parle de la Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et de la Formation/FASTEF. Ma remarque à ce niveau, est qu’au Ministère de l’Education Nationale/MEN, tout ce qui est formation relève, de fait, de la Direction de la Formation et de la Communication/DFC et du Centre Régional de Formation des Personnels de l’Education/CRFPE (pour l’éducation préscolaire et l’enseignement élémentaire), de la FASTEF ou de l’UFR Sciences de l’Education, de la Formation et du Sport/SEFS (pour l’enseignement moyen secondaire générale). Dans le cas d’espèce, cela revient naturellement à la DEE/DFC-CRFPE sous le contrôle de l’Inspecteur Général de l’Education et de la Formation/IGEF pour l’enseignement élémentaire qui est bien outillé et qui a une très bonne vue d’ensemble du système éducatif.
3/ Les ressources humaines : Je viens de lire une annonce de la Direction des Ressources Humaines/DRH/MEN relative à une « Campagne de recensement des enseignants de l’élémentaire qui ont des compétences en anglais (niveau bac et/ou autres formations)».
Là, on semble n’avoir pas pris en considération le fait que la quasi-totalité des enseignants de l’élémentaire qui sont des produits de nos lycées ont eu à y apprendre l’anglais comme Langue vivante1/ LV1 de la Sixième/ 6e à la Terminale. Remarquons au passage qu’ils sont pratiquement tous trilingues au moins (Langue maternelle, français, anglais). Il suffirait de les accueillir au niveau des CRFPE par cohortes pour un relèvement de leur niveau linguistique (avec les Inspecteurs de Spécialité/ IS et les formateurs du Moyen Secondaire/MS en Anglais) et une formation en didactique de l’Anglais à l’école élémentaire (avec les IS et des inspecteurs de l’Elémentaire, spécialistes en Anglais). Il faut noter au passage que les CRFPE couvrent l’ensemble du territoire national et regorgent de personnels de formation hautement qualifiés, de l’élémentaire comme du moyen secondaire.
En ce qui concerne les enseignants qui devront être recrutés prochainement, il faudra penser dès à présent (mais là, je crois que le coup est parti puisque le concours est déjà ouvert) à inclure dans les tests d’entrée des épreuves facultatives d’anglais et de linguistique pour jouer sur le profil d’entrée qui aura un impact positif sur le profil de sortie des formés. Il y a lieu de s’inscrire dans la perspective de former, non pas des maitres ou professeurs d’anglais (au profil unilingue) dont on n’a vraiment pas besoin à ce niveau, mais des enseignants bilingues (français/anglais) à l’image des professeurs (Lettres-Anglais/LA, Lettres-Espagnol/LE, etc.) officiant dans les Collèges d’Enseignement Moyen/ CEM.
La mise en œuvre de l’enseignement de l’anglais à l’élémentaire nécessitant un travail de contrôle-encadrement, il faudra penser à disposer d’un corps de contrôle spécifique. A cet effet, on pourra s’appuyer sur les Inspecteurs de l’Enseignement Elémentaire/IEE qui ont un profil d’angliciste et les mettre à contribution au niveau des CRFPE en attendant de pouvoir en prévoir dans les recrutements à venir au Concours de Recrutement des Elèves-Inspecteurs/CREI et au Probatoire (pour permettre d’y voir plus clair, prenons l’exemple de l’enseignement de l’arabe qui est mené à l’élémentaire et au moyen secondaire avec, à chaque niveau, des inspecteurs dédiés.)
4/ Les infrastructures et le matériel de formation des maîtres : Je ne sais pas ce qui est prévu dans ce cadre mais (pendant qu’on y est, disons que) il serait intéressant d’envisager la création de laboratoires de langues (anglais, arabe, langues nationales…) bien équipés au niveau de chaque CRFPE et dans le même ordre d’idées, la mise à disposition de matériel audiovisuel et multimédia au niveau des écoles. La mise à contribution du Centre de Linguistique Appliquée de Dakar/CLAD, avec sa bonne vieille méthode, serait d’un grand apport malgré tout ce qui lui a été reproché dans le passé. J’ai été formé avec la méthode CLAD à l’élémentaire (en français avec le manuel Pour parler français) comme au lycée (en anglais avec le manuel Go for English) ; il faudra la remettre au goût du jour ; ce qui sera bénéfique, j’en suis sûr : « the taste of pudding is in eating » (and I had eaten it). Au CLAD, pourront s’adjoindre d’autres laboratoires comme le laboratoire Recherches Sociolinguistiques et Didactiques/RSD et le Centre de Recherche en Education, Formation et Sport/ CREFS de Ufr SEFS/ UGB de même que l’Académie des langues qui tous pourront concourir à apporter leur expertise sur la question.
5/ La didactique de l’anglais : Là également, je ne sais pas trop ce qui est envisagé mais il importe de noter que la didactique de l’anglais à l’élémentaire est différente de celle au moyen-secondaire. Dans ce cadre, il y aurait lieu, entre autres, d’élaborer un programme immersif où l’accent sera mis prioritairement sur la maîtrise du code oral avec la compétence réceptive (comprendre) et la compétence expressive (parler) conformément au processus d’acquisition naturel de la langue où c’est le code oral qui s’acquiert avant le code écrit. Notons, au passage, que ce que j’ai lu sur l’enseignement de l’anglais dans certaines écoles dites « bilingues » avec l’enseignement des mêmes matières et contenus successivement en français et en anglais, ne renvoie pas au bilinguisme qui est un concept qu’il convient de (re)visiter.
6/ Le timing : « Education : introduction de l’anglais dès octobre 2024 pour l’élémentaire » déclarait le DEMSG sur la RFM le lundi 29 juillet pour un aussi « ambitieux programme » à deux mois de la rentrée scolaire.
Cela sent l’empressement, la précipitation, l’imprégnation et le cafouillage qui ne peuvent qu’engendre des regrets car tout échec sera dommageable à des centaines voire des milliers d’écoliers. C’est inquiétant pour un aussi « ambitieux programme » sans, que je sache, une phase pilote (on parle de mise en œuvre au niveau de la 3e étape/ toutes les classes de CM1 et CM2 !) permettant d’expérimenter, d’évaluer, de corriger éventuellement avant de généraliser. Pire, on semble perdre de vue l’existence, à côté, d’un chantier de taille avec la mise à l’échelle de l’enseignement bilingue (langue nationale /français) ; un chantier qui a traversé tous les régimes qui se sont succédé depuis le Président Senghor et qui, tel un travail de Sisyphe, peine à être effectif. Il gagnerait à bénéficier, pour une fois, d’une attention et d’une volonté politique avérée des nouvelles autorités pour son aboutissement définitif. Il constituera ainsi un premier pas décisif vers une réponse au besoin fondamental de notre école : sa fonte et refondation sur la base des langues nationales, seul gage d’un système éducatif endogène et performant, d’un système éducatif de développement.
Je voudrais pour terminer dire que, en globe-trotter, je me suis me lancé à la recherche d’un pays qui s’est développé sans sa langue maternelle mais je n’en ai pas encore trouvé.
Saint louis, le 15 août 2024
Par Dr Amar GUEYE
Consultant Manager en éducation et formation
Cabinet Galass Afrique Consulting/ GAC
Saint Louis
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