Les droits de la défense devant les juridictions pénales internationales. Par Malick Lazare Diakhaté

L’admission d’une répression pénale au plan international visant les individus auteurs de crimes particulièrement graves, car affectant la conscience collective de l’humanité, a été progressive. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que l’idée d’une responsabilité internationale de l’individu sur le plan pénal fut concrétisée. De fait, l’individu se retrouve astreint à des obligations internationales dont la transgression engage sa responsabilité internationale devant les juridictions dédiées à cette cause. N’ayant pas, au départ, un statut reconnu en droit international, l’individu finit, à l’arrivée, par acquérir une personnalité juridique quoique pouvant être qualifiée de « personnalité juridique sui generis »[1]. Mais en tout état de cause, la personne humaine demeure dépositaire de droits inhérents à sa personne et inaliénable dont le respect s’impose en toute circonstance et en tout lieu.

Si louable, tant est de sanctionner les actes illicites particulièrement abominables perpétrés par des individus contre d’autres individus, il ne peut être passé outre les règles qui gouvernent le procès, surtout celles ayant pour effet de sauvegarder les droits de l’homme à l’instar des droits de la défense. Leur respect devant ces juridictions pénales internationales, continue d’être une exigence toute singulière. L’ancien procureur général au Tribunal de Nuremberg affirmait dans ce sens qu’« il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des circonstances données »[2].

L’affirmation des droits de la défense au plan international est tributaire du développement des droits de l’homme. Titulaire de droits naturels et imprescriptibles, seule une loi est susceptible de limiter la jouissance. Au demeurant, la garantie  de l’effectivité de ces droits est de plus en plus une appropriation d’instruments internationaux de droits de l’homme en général,[3] et de la jurisprudence international, en particulier[4].

En ce qui concerne la justice de façon globale, il faut convenir avec le Professeur Alioune SALL que « si dans un passé pas si lointain, le champ juridictionnel international était assez clairsemé avec la CIJ trônant au milieu de celui »[5], on assiste aujourd’hui à une prolifération exponentielle des instances juridictionnelles internationales favorisée par une spécialisation de la justice. C’est cette spécialisation qui a justement conduit à la création de la Cour Pénale Internationale[6], de juridictions ad-hoc, notamment, le Tribunal Pénal l’ex-Yougoslavie[7], le Tribunal pénal pour le Rwanda[8] ou encore les Chambres africaines extraordinaires de Dakar[9] (CAE).

Devant ce nombre impressionnant de juridictions pénales internationales qu’il est possible de recenser, il nous faudra, au-delà de la distinction entre juridictions permanentes et celles non permanentes, opérer une sélection dans ces dernières. Cette perspective nous permettra de mesurer l’effectivité des droits de la défense. Il sera donc question de mettre principalement l’accent sur la CPI et les CAE, juridiction ad-hoc récemment mise en place et qui a marqué un tournant dans l’évolution de la justice internationale. Les autres juridictions non permanentes nous seront toutefois utiles dans la démarche de la comparaison.

A l’analyse, il s’avère que les infractions pénales réprimées sur la scène internationale sont d’une gravité particulière de telle sorte que les châtiments prévus paraissent concevables. Si convenables soient-ils, il s’agit somme toute d’une mission délicate. Comme le soutient[10] PEYREFITTE, « Vaut-il mieux relâcher un coupable ou condamner un innocent ». Il faut donc nécessairement garantir des droits à l’accusé pour une justice sérieuse tout au long de la procédure. Mais garantir seulement à travers les textes de bases de ces juridictions est-elle suffisante ?  La réponse peut adopter une approche relativiste si à l’examen, il est permis de constater que le respect des droits de la défense est davantage une préoccupation devant la CPI que devant les tribunaux ad-hoc. S’agirait-il donc d’un décalage entre une garantie statutaire des droits de la défense commune aux juridictions pénales internationales (I) et d’une pratique discordante (II).

  1. Une garantie statutaire des droits de la défense commune aux juridictions pénales internationales

Les droits reconnus à l’accusé dans les statuts des juridictions pénales internationales sont importants et variés. Il faut ainsi constater que certains se rapportent particulièrement au jugement. Il y’aurait donc un cadre général (A) et un cadre spécifique au procès des droits de la défense (B).

  1. Le cadre général des droits de la défense

À quelques exceptions près, on retrouve les mêmes garanties générales – les garanties s’appliquant avant la phase du jugement – accordées à l’accusé aussi bien devant la CPI que devant les autres juridictions pénales. En atteste le principe de la légalité des délits et des peines en vertu duquel, l’accusé ne peut être condamné qu’en vertu des textes prévus à cet effet et qui, somme toute, est systématiquement pris en compte devant les tribunaux pénaux internationaux[11].

C’est dans ce registre qu’il faut ranger la règle cardinale de la présomption d’innocence, rappelée dans tous les textes, article 66 pour la CPI et 21, alinéa 3 pour les CAE. Au-delà de cette innocence présumée pour toute personne faisant l’objet de poursuite, l’accusé ne peut pas être jugé deux fois pour les mêmes faits. C’est la règle « non bis in idem », reprise par les mêmes juridictions, du reste avec la même portée. Ainsi, pour l’article 20 du statut de Rome comme pour l’article 19 du statut des CAE, un individu ne peut être ni rejugé par ces juridictions pour « des actes constitutifs de crimes pour lesquels il a déjà été condamné ou acquitté » ni par une autre juridiction, notamment le tribunal national, pour les crimes relevant de leurs compétences et pour lesquels une condamnation ou un acquittement est déjà intervenu. Cependant, par dérogation à cette prescription, une telle personne peut à nouveau comparaitre devant les juridictions pénales internationales si le procès devant le tribunal national n’a pas été impartial et équitable ou si la procédure nationale visait simplement à soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale internationale.

Cependant, un constat peut être fait quant aux droits de la défense qui se rapportent à l’intégrité physique de l’accusé. Il peut, en effet, paraitre étonnant d’observer que de telles garanties sont absentes, ou presque, des textes régissant le fonctionnement des juridictions pénales non permanentes. Ni, entre autres, le statut actualisé du TPIY, ni celui des CAE ne prévoient des droits dans la phase d’enquête. Or, sur ce chapitre la CPI s’érige en une juridiction plus généreuse et, peut-être, plus soucieuse du respect des droits fondamentaux. Ainsi, une personne ne doit être  « soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, ni à la torture ni à aucune autre forme de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant »[12]. Elle ne peut non plus  « être arrêtée ou détenue arbitrairement ; elle ne peut être privée de sa liberté si ce n’est pour les motifs et selon les procédures prévues dans le présent Statut »[13]

Le principe de la non- rétroactivité est aussi un autre point de divergence quant aux garanties générales accordées à l’accusé. A rebours de la CPI qui ne juge que des actes commis postérieurement à l’entrée en vigueur du statut de Rome[14], les juridictions pénales internationalisées sont souvent installées pour juger des actes déjà posés avant sa création et consacrent ainsi une espèce de rétroactivité de leur sentence. Mais cette donnée semble aller de soi, puisque c’est en raison d’une incompétence temporelle de la CPI qu’elles sont mises en place[15].

Par ailleurs, les droits de la défense ne sauraient se limiter à des garanties relatives à la personne de l’accusé. La garantie d’une juridiction indépendante et impartiale en constitue également une substance intégrante. A cet effet, la désignation des juges est soumise à des règles strictes[16], dignes de porter ces dites garanties. Il s’agit généralement de juges de formation « jouissant d’une haute  considération morale, connus pour leur impartialité et leur intégrité »[17]  avec une certaine expérience. De même, il est offert au mis au cause le pouvoir de solliciter la récusation des magistrats en cours d’audience. En d’autres termes, les droits de la défense submergent même la phase du jugement.   

B. Le cadre des droits de la défense spécifique au procès

A l’analyse, les différences sur les droits de la défense spécifiques au procès entre les juridictions pénales internationales ne sont pas légion. Certains se rapportent à la preuve, d’autres particulièrement à la défense.

D’abord il faut remarquer, en ce qui concerne la preuve, que l’accusé n’est pas enfermé dans un carcan comme c’est le cas en droit national. Le système de la preuve légale est inconnu du procès international. Le principe est la liberté de la preuve en ce sens que les parties ont la latitude de présenter tout moyen de preuve qui leur parait pertinent[18], même si en contrepartie le tribunal dispose d’un pouvoir d’appréciation[19]. La preuve peut être une écrite comme elle peut être orale. Dans cette configuration, tout type de document est en principe recevable. L’accusé a aussi le droit d’appeler des témoins. Mais en tous les cas, le juge est tenu de veiller au respect de la l’égalité des armes[20] qui est une autre dimension des droits de la défense. En vertu de ce droit, l’accusé doit avoir la possibilité de présenter ses arguments sur un pied d’égalité avec son « adversaire » – le Procureur – en disposant les mêmes instruments que lui pour faire valoir sa propre thèse.  C’est ainsi qu’il est reconnu à l’accusé le droit de contre-interroger les témoins de l’accusation dans l’optique « réfuter les inculpations en cause, mettre en doute la véracité des déclarations rendues, en soulignant la faiblesse, relever toute contradiction, vérifier si le témoignage à charge est digne de foi et si le témoin est lui-même fiable.    

En outre, les textes des juridictions pénales internationales garantissent à l’accusé le droit de n’être pas obligé de témoigner contre lui-même[21] et celui d’être assisté, au besoin, gratuitement d’un interprète[22] et d’un défenseur de son choix ou de se voir affecter un commis d’office si les moyens lui font défaut[23]. Nul besoin d’insister donc sur son droit d’être présent à son procès[24], outre que celui-ci doit être équitable[25] et ouvert au public sous réserve de mesures visant à assurer la protection des victimes[26]. L’organisation du système de droit interne du double degré de juridiction ouvrant l’accusé du droit de recours[27], et par ricochet d’un droit à la révision[28], est garantie dans les statuts. Ce droit à la révision est, elle-même, garantie par d’autres droits dont le droit d’être informé des charges à temps[29].

Au vu de l’ensemble de ces garanties statutaires, un sentiment de satisfaction pourrait être légitiment afficher. Mais l’analyse de la pratique des droits de la défense devant certaines juridictions pénales internationales peut faire obstacle à toute enthousiasme, à toute émotion allant dans le sens de croire que tout va bien avec la justice internationale. 

II. Une pratique discordante des droits de la défense devant les juridictions pénales internationales

    Comme le suggère le qualificatif avec lequel on dépeint la CPI, sa durée de vie est, en principe, illimitée par opposition à celle des CAE. Il en est de même de la portée de sa compétence quant aux justiciables pouvant être attraits devant son prétoire. De telles données obligent la juridiction permanente à être plus attentive dans le traitement des cas soumis à son attention. Tandis que la précarité des juridictions comme les CAE a tendance à les pousser à adopter une conduite moins soucieuse de certaines préoccupations. Si la CPI s’efforce d’être soucieuse du respect des droits de la défense (A), la pratique des droits de la défense devant les juridictions non permanentes est souvent critiquée (B).

    1. Une pratique plus soucieuse du respect des droits de la défense devant les juridictions permanentes

    Bien que la Cour pénale internationale (CPI) se présente comme l’un des aboutissements des nombreuses propositions pour une répression universelle des violations du DIH, elle n’a pas demeuré indemne de reproches. Les plus virulents sont, du reste, africains. Curieusement, il s’agit de critiques quoique vives, mais loin comme celles, on le verra, portées à l’encontre des juridictions pénales ad-hoc. Il nous est même possible d’affirmer  que la plupart des travaux de la doctrine visant la CPI met en relief soit les relative que celle-ci a avec le Conseil de sécurité[30], organe de l’ONU et principalement chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales ; soit ses relations souvent interprétées de conflictualité avec les Etats africains[31]. Cet état de fait postule de nombreuses critiques à l’endroit de la juridiction permanente. Au demeurant, elles sont articulées contre le système et, spécifiquement pour les pays africains, à l’idée d’une justice qui ne traque que des africains[32].

    En clair, l’abondance des travaux sur la CPI alors que peu sont consacrés à la pratique des droits de la défense n’est pas un fait anodin. Il peut traduire par là un tant soit peu de respect des règles des droits de la défense par la Cour permanente. Que si la doctrine observe un certain silence, c’est parce que beaucoup de choses semblent bien fonctionner.  Par ailleurs, le dénouement de certaines affaires qui ont été portées à la Cour, témoigne d’un certain souci que l’institution judiciaire porte volontiers à l’égard des droits de la défense. Nous faisons naturellement allusion aux trois (3) acquittements qu’elle a eu à prononcer et qui prouve, à beaucoup d’égards, l’importance des droits de la défense. En est-il ainsi de l’acquittement rendu le 18 décembre 2012 à l’égard de M. NGUDJOLO après avoir estimé que le procureur n’avait pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que ce dernier était responsable des crimes qui lui étaient imputés. Comme le fait remarquer FOURÇANS Claire, « les juges ont donc fait pleine application de l’article 66 du Statut de Rome »[33]. L’affaire Bemba ainsi que celle « GBAGBO ET BLE GOUDE » ont eu le même sort[34].

    Toutefois, il y a lieu de noter quelques problèmes qu’on a tendance à soulever et que la Cour gagnerait à préciser dans sa jurisprudence dans l’optique de protéger davantage les mis en cause. C’est en premier lieu le « droit d’être jugé sans retard excessif » prévu à l’article 67 (1) (c) du statut créant la CPI. Il est à cet égard quelque peu difficile de connaitre à partir de quand le retard d’un jugement est jugé excessif. Pour les affaires NGUDJOLO et GBAGBO ET BLE GOUDE, bien qu’étant acquittés par la suite, ils auront tout de même passé cinq (5) ans en détention à la Haye. Pour la dernière affaire, il aura fallu deux (02) ans de plus pour recouvrer une liberté pleine. Il faut tout de même signaler que la justice internationale est une justice dont la procédure est souvent qualifiée complexe et nécessitant du temps assez long. De plus, les crimes que la CPI a compétence à connaitre et les sanctions qui y sont attachées ne sont d’une importance moindre. D’ailleurs à l’instar de certains crimes en droit national, rien que dans la phase d’enquête, le juge d’instruction n’est pas tenu par le temps.

    Si la CPI fait des efforts pour échapper à une critique de sa pratique vis-à-vis des droits de la défense, il n’en est pas le cas des juridictions ad-hoc.   

    B. Une pratique des droits de la défense critiquée devant les juridictions non permanentes

    La pratique des droits de la défense devant les juridictions pénales internationalisées fait souvent, pour ne pas dire, l’objet de virulentes critiques. Le procès du sieur Hissène HABRE devant les CAE est une parfaite illustration d’une justice qui a été désapprouvée par plus d’un, du début jusqu’à la fin de la procédure.

    Pour ce « feuilleton judiciaire passablement embrouillé »[35], la doctrine n’a pas manqué de fustiger, en premier lieu, la violation de la présomption d’innocence en estimant que le procès s’est déroulé « sous le signe de la présomption de culpabilité »[36]. Plus précisément, la contestation porte sur des enquêtes et procédures judiciaires antérieures auxquels la défense n’a pas été associée. A cela, il faut ajouter que, semble-t-il, les magistrats sénégalais n’ont pas été impliqués dans la recherche de preuves. A cet égard, il est mis en évidence le « Rapport d’enquête » de Mahamat DJIBRINE dit El DJONTO, des témoignages comme ceux des anciens directeurs de la DDS et les informations requises par les magistrats instructeurs faisant ainsi bénéficier du doute sur la crédibilité de ces éléments à l’accusé. En tout état de cause et sans pour autant être dans une posture de devoir délivrer un oracle, la philosophie voire l’idée de la mise en place des juridictions pénales internationalisées donnent plus l’impression d’une configuration de présomption de culpabilité qu’une présomption d’innocence. En effet, c’est en la conviction de forte probabilité de la culpabilité du mis en cause, pour des infractions que la juridiction permanente ne peut pas connaitre, que de telles juridictions sont érigées. Le cas du TPIR même peut étayer nos propos si l’on s’appuie sur un passage des raisons énumérées par le représentant du Rwanda pour justifier leur désapprobation contre la résolution 955. Il a, entre autres, dit ceci : « Mon gouvernement a demandé la constitution d’un tribunal international pour juger les coupables du génocide parce que la communauté internationale est vivement concernée par le sujet, mais il a aussi et surtout demandé la constitution de ce tribunal a des fins pédagogiques pour la population rwandaise, pour lutter contre l’impunité à laquelle elle était habituée depuis 1959 et pour promouvoir la réconciliation »[37]. En clair, la culpabilité des mis en cause étaient au moins présumée. Dans ces conditions, on pourrait croire que la création des CAE avait, elles aussi, pour objet de créer un cadre légal à l’effet de prononcer des sanctions contre M. HABRE. Ce qui en soi cohabite mal avec une présomption d’innocence. On se demande même de la possible conciliation entre la présomption d’innocence et les juridictions pénales internationalisées.

    La comparution forcée a aussi été indexée, car au soutien de l’article 21 (4) (d) l’accusé a le droit d’être « présent à son procès et de se défendre lui-même ou d’être assisté d’un conseil de son choix ». Or, un droit subjectif est une prérogative que le titulaire peut ne pas mettre en œuvre.    

    Les modalités de l’organisation du procès posent, elles également, un problème de l’égalité des armes. Plus spécifiquement à l’affaire Habré, il est tout à fait possible de conclure que les parties ne pesaient pas le même poids. On trouve d’un côté un Procureur général super puissant, qui a rassemblé des indices ou éléments de preuves avec l’appui des Etats et le soutien des organismes internationaux, de l’autre côté une défense dont les moyens ne sont pas à l’avenant.

    Conclusion

    La répression internationale des crimes les plus graves trouve sa légitimité dans la nécessité de protéger la conscience commune de l’humanité. Cependant, la justesse d’une répression ne se jauge pas seulement à l’aune de la gravité des infractions. Elle se mesure surtout à la qualité du procès. Le respect effectif des droits de la défense constitue la condition sine qua non d’une justice crédible et légitime. Sans garanties procédurales effectives, la répression internationale risque d’être perçue comme une revanche collective plutôt que comme l’affirmation d’un État de droit universel.

    L’examen comparatif que nous avons mené met en lumière une tension persistante. Sur le plan formel, les statuts des juridictions pénales internationales énoncent des garanties étendues. Dans la pratique toutefois, des divergences notables persistent. La Cour pénale internationale, institution permanente, montre une plus grande propension à appliquer ces garanties et à clarifier leur portée jurisprudentielle. À l’inverse, certaines juridictions ad-hoc ou « internationalisées » ont parfois retenu des pratiques qui portent atteinte à l’équilibre du procès.

    Ces écarts appellent des réponses précises. D’abord, il faut homogénéiser les standards procéduraux au plan international, codifier, là où cela manque, des règles minimales opposables à toutes les juridictions chargées de juger des crimes internationaux. Ensuite, il convient d’outiller les juridictions précaires en fournissant des ressources matérielles, une formation spécialisée des magistrats et des greffes, ainsi qu’un accès effectif à la défense et à une assistance juridique indépendante. Par ailleurs, les mécanismes d’indépendance et de contrôle des enquêteurs et du ministère public doivent être renforcés pour éviter toute instrumentalisation politique ou judiciaire.

    Enfin, la jurisprudence doit jouer un rôle moteur. Les juridictions permanentes et ad-hoc doivent produire des décisions transparentes qui précisent les critères applicables en matière de délais, de preuve, de comparution forcée et de garanties d’égalité des armes. Ces décisions doivent devenir des références communes, utilisables par les États et les juridictions nationales pour améliorer la qualité des procédures. La légitimité de la justice internationale repose sur sa capacité à conjuguer fermeté à l’égard des crimes les plus graves et rigueur procédurale à l’égard des accusés.

    En somme, la condamnation des crimes imprescriptibles ne peut se confondre avec une abolition des droits de la défense. La communauté internationale a le devoir de faire en sorte que l’arsenal normatif devienne effectif sur le terrain. C’est par une justice à la fois rigoureuse et respectueuse des droits fondamentaux que la paix durable et la confiance dans l’ordre juridique international trouveront leur meilleure garantie.

    Par Malick Lazare Diakhaté

    Doctorant en Droit public, UCAD

    Courriel : malicklazare@gmail.ccom


    [1] SOMA/KABORE V., L’évolution du statut de l’individu en droit international, http://publication.lecames.org/index.php/jur/article/view/364, consulté le 02 juin 2021, p. 29.

    [2] Benjamin FERENCS, ancien procureur général au Tribunal de Nuremberg.

    [3] DUDH (Art. 8) ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Art. 5 § et 14) ; le Statut de Rome de la CPI de 1998 (Art. 55 et 67), Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Art. 7).

    [4] TPIY, Ch. II du 25 septembre 1996, Aff. Z. Deadic et al., IT-96-21-T. ; TPIY, du 29 mai 1996, Aff. Erdmovic, IT-96-22-I.   

    [5] SALL A., Le contentieux de la violation des droits de l’homme devant la Cour de Justice de la CEDEAO, Dakar, L’Harmattan, 2019, p. 213.

    [6] CPI, Statut de Rome de 1998.

    [7] TPIY, résolution 27 du 25 mai 1993 adoptée par le Conseil de sécurité.

    [8] TPIR, créé par la Résolution 955 du 8 novembre 1994 adoptée par le Conseil de sécurité.

    [9] CAE, créées en 2013 par un Accord entre l’UA et le Sénégal.

    [10] PEYREFITTE A., Les chevaux du Lac Ladoga. La justice entre les extrêmes, Plon, Paris, 1991, p. 396.

    [11] Articles 22 et 23 du Statut de la CPI ; articles 3 et 4 du Statut des CAE. 

    [12] Article 55 (b) du statut de la CPI

    [13] Article 55 (1) (d) du Statut de la CPI 

    [14] Article 24 du Statut de la CPI.

    [15] Article premier du Statut de la CAE : « l’objet du présent statut est de mettre en œuvre la décision de l’Union africaine relative à la poursuite par la République du Sénégal des crimes internationaux commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990, et conformément aux engagements internationaux du Sénégal ».

    [16] Article 40 du Statut de la CPI ; article

    [17] Article 11 du Statut des CAE

    [18] Article 63 (5) du Règlement de procédure de la CPI

    [19]Article 64 Règlement de procédure de la CPI ; voir dans ce sens SANTULLI C., Droit du contentieux international, Paris, LGDJ, 2e édition, 2015, p. 567.

    [20] Article 21 (1) du Statut des CAE.

    [21] Article 55 (1) (a) du statut de la CPI ; article 21 (4) (g).

    [22] Article 55 (1) (c) du statut de la CPI ; article 21 (4) (f) du statut des CAE.

    [23] Article 55 (2) (c) du statut de la CPI ; article 21 (4) (d) du statut des CAE.

    [24] Article 67 (1) (d) du statut de la CPI ; article 21 (d) du statut des CAE.

    [25] Article 67 (1) ; Article 21 (2) du statut des CAE.

    [26] Article 64 (7) du statut de la CPI ; article 21 (2) du statut des CAE.

    [27] Articles 81 et 82 du statut de la CPI ; l’article 2 des CAE prévoie en son sein 4 chambres assurant le droit au recours. 

    [28] Article 84 du statut de la CPI. 

    [29] Article 67 (1) et (b) du statut de la CPI ; article 21 (4) (points a, b et c).

    [30] NDIAYE S.A, Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, Thèse, Doctorat en droit, Université d’Orléans, soutenue le 10 novembre 2011, 511 P.

    [31] Voir SALL A., L’émotion et la raison, l’Afrique face à la justice internationale », Dakar, l’Harmattan, 2020, 288 P.; DIOP El. H.O., « L’Afrique à l’épreuve de la justice pénale internationale », Afrilex, 2016, 32 pages. 

    [32] SALL A., L’émotion et la raison, l’Afrique face à la justice internationale », op.cit., pp.13-67.

    [33] Article 66, paragraphe 3 : « Pour condamner l’accusé, la Cour doit être convaincue de sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable ».

    [34] Le 8 juin 2018, la Chambre d’appel a décidé, à la majorité, d’acquitter Jean-Pierre Bemba Gombo des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ; concernant l’affaire « Gbagbo et Blé Goudé », le 31 mars 2021, la Chambre d’appel a confirmé, à la majorité, la décision d’acquittement du 15 janvier 2019.

    [35] SALL A., L’affaire Hissène Habré, Dakar, L’Harmattan, 2013, p.13.

    [36] THIAM S., « Les droits de la défense dans le procès Hissène Habré », in Mélanges en l’honneur du Professeur Ndiaw DIOUF, Dakar, Editions du CREDIJ, Tome I, 2020, p. 619.

    [37] Citée par SALL Alioune, L’émotion et la raison, l’Afrique face à la justice internationale », op.cit., p. 101.

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