Les juristes à l’épreuve de la météo du 3e mandat au Sénégal. Par le Pr Meïssa DIAKHATE

La perspective du 3e mandat a bruyamment actionné la doctrine juridique sénégalaise. Plus que jamais auparavant, les juristes universitaires ont rivalisé d’ardeur pour abreuver l’espace public de des constructions savantes.
Rien d’étonnant. Armés de bonne foi, ils ont tenté, au mieux, de remplir leurs charges doctrinales, évidemment avec les aléas inhérents à la relativité de la vérité juridique. C’est la tonalité tout à fait normale de la liberté qui rythme la quête du savoir dans un contexte de tonalité démocratique.
Toutefois, il n’est pas sans intérêt professionnel de se livrer, à présent, à une approche réflexive sur la posture du juriste dans une ambiance de vacarme politique. Dit autrement, quelles leçons pourrait-on tirer de l’intimité ou de l’inimité entre le juriste et le politique ?

I. Restaurer la raison juridique

La mise en scène juridique du 3e mandat montre, à bien des égards, le poids de l’impréparation de certains acteurs. La matière constitutionnelle a exercé un attrait sur plusieurs catégories de juriste. Chacun se pare de l’éclat constitutionnaliste et le risque est réel de s’exprimer par émotion ou subjectivités sur des espaces de réflexion qui ne sont pas jusque-là fréquentés.
Tout étant converti à l’idée d’une solidarité scientifique ou d’une démarche holistique, il y a lieu de prendre en compte le risques potentiel d’interférences voire de confusions. La réalité nous parle : des concepts, des théories et des modes de pensée peu familiers au constitutionnalistes ont égaillé le débat public sur le 3e mandat. La vérité acquise est justement qu’il n’est pas approprié de lire les certitudes constitutionnelles sous le prisme des évidences juridiques autrement élaborées. Le brillant esprit a raison de nous faire comprendre que les habitudes intellectuelles sont susceptibles d’entraver la recherche, ici en matière constitutionnelle. « Notre esprit, dit parfaitement M. Bergson, a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent ».
La dilution des autres logiques juridiques dans la réalité constitutionnelle a installé un malaise s’est installé dans l’imaginaire des Sénégalais, à savoir le doute sur la scientificité du droit constitutionnel ou, de manière plus théoriquement sophistiquée, l’existence d’une axiomatique dans ce domaine. Certes, les frontières scientifiques ne sont en aucun cas étanches. Mais, tout porterait à dénoncer la présence d’allogènes dans le champ constitutionnel. La science n’est pas une simple donnée de l’émotion ou une question de courage.
La substance du droit constitutionnel ne réside plus seulement dans la parole sacrée du Constituant (l’exégèse des textes) ou la sagesse vénérée du juge (jurisprudence constitutionnelle). Elle brasse de nouvelles sensibilités, qu’elles soient, d’une part, de l’ordre des droits fondamentaux ou des garanties institutionnelles et, d’une part, des niveaux communautaires ou universels. Dès lors, il n’est plus souhaitable de l’aborder sous l’angle des marges étroites de la lettre de la Constitution, de la posture du politique ou de l’appréciation contingente du juge constitutionnel.
Désormais, les lectures et les prises de position sur les questions constitutionnelles contemporaines ont besoin de cerner les contours et de maîtriser l’écosystème faisant du droit constitutionnel un droit en mouvement.

II. Repenser la vocation didactique

La spécificité de la matière impose de reconsidérer la vocation du constitutionnaliste. Loin de s’adonner à l’incantation des dispositions pourtant claire de la Constitution ou de ressasser les motivations situationnistes du juge constitutionnel. Il doit finalement changer de métier, en s’appropriant des vertus didactiques. Son rôle doit être davantage d’expliquer, d’analyser, de commenter, de comparer et, au besoin, d’extrapoler. Autant d’opérations intellectuelles qui établissent une distinction nette entre l’animation politique et l’analyse juridique et, en même temps, aseptisent la réflexion scientifique de tout jugement de valeur ou engagement partisan.
Pareil équilibre était indispensable à la compréhension de la problématique juridique relative à l’article 27 de la Constitution. Les impératifs didactiques devraient libérer notre réflexion de l’étroitesse du carcan « validation / invalidation ». L’orientation didactique aurait pu conduire à une meilleure expression de l’esprit dans le séquençage de la scène juridique de la 3e candidature.
D’abord, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est juridiquement embarrassante. Au moment où les citoyens et les analystes politiques soutiennent et théorisent, à les en croire, une différence de nature entre un mandat de cinq ans et un mandat de 7 ans dans le décompte des mandats exercés entre 2012 et 2024, le Conseil avait déjà énoncé que « la durée du mandat, traduction temporelle de celui-ci, ne peut en être dissociée » (Décision du 29 janvier 2012). Par suite, le mandat de 7 ans consacré en 2008, en lieu et place du mandat de 5 ans déterminé en 2001 a été réceptionné sur le plan institutionnel par le mandat présidentiel exercé de 2012 à 2019.
Ensuite, la réécriture de l’article 27 dans la loi constitutionnelle accentue la nuance. Deux préceptes juridiques sont en concurrence. L’un, un argument « judicaire » : la nouvelle « loi » est d’application immédiate ; elle ne rétroagit pas. L’autre un argument légistique : la nouvelle loi qualifiée de constitutionnelle fait corps, par nature, avec la Constitution du 22 janvier 2001 limitant initialement le nombre de mandats présidentiels à deux.
Enfin, la lecture de la décision n° 1/C/2016 du 12 février 2016 dégage une charge énigmatique. A bien des endroits, elle charrie une quantité importante de subtilités. En son article 3, le Conseil constitutionnel décide : « La disposition transitoire prévue à l’article 27 dans la rédaction que lui donne l’article 6 du projet et aux termes de laquelle ; « Cette disposition s’applique au mandat en cours » doit être supprimée ; elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution, ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle sur la durée du mandat du Président de la République ne pouvant s’appliquer au mandat en cours ». Partant de ce raisonnant, il censura, sans convaincre, la disposition limitative.
Tout compte fait, l’histoire aurait pu témoigner que la règle de la limitation des mandats a l’apparence d’un mirage juridique. Mais, la solution de bon sens est finalement l’œuvre du Président de la République, gardien officiel de la Constitution. Mais, un tel acte politiquement héroïque et démocratiquement historique, ça se préserve.

Par Meïssa DIAKHATE
Professeur des Universités

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La gestion de la dette publique au Sénégal… ce que dit et ne dit pas la stratégie (SDMT) de l’Etat pour 2026-2028. Par Omar SADIAKHOU

Introduction La dette publique constitue aujourd’hui un instrument central de la politique économique, mais également une source de vulnérabilité pour les États en développement. Dans un contexte marqué par les séquelles des crises sanitaires, les tensions...

Les 11 étapes de la préparation du budget au Sénégal. Par Mamadou Lamine GUEYE

La vocation du Budget, outil fondamental de la gestion publique, se déploie à travers des dimensions politique et économique qui sont intrinsèquement liées. Sur le plan politique, le Budget est l'expression chiffrée des choix et des priorités du gouvernement,...

Les droits de la défense devant les juridictions pénales internationales. Par Malick Lazare Diakhaté

L’admission d’une répression pénale au plan international visant les individus auteurs de crimes particulièrement graves, car affectant la conscience collective de l’humanité, a été progressive. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que l’idée d’une...

« TRAITÉ DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE : l’État et son administration » , écrit par le professeur Meïssa DIAKHATÉ , agrégé en droit public

Nous sommes ravis de vous annoncer que "TRAITÉ DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE : l'État et son administration" , écrit par le professeur Meïssa DIAKHATÉ , agrégé en droit public,sera disponible à l'Harmattan le Lundi 06 Octobre 2025, inchallah.Cet ouvrage constitue une...

Célébrer octobre rose et protéger des minorités de genre :Brèves réflexions sur quelques aspects tendanciels du féminisme en finances publiques. Par Omar SADIAKHOU

Le mois d’octobre, consacré à la lutte contre le cancer du sein à travers l’initiative dite « Octobre rose », constitue aujourd’hui une vitrine mondiale de la mobilisation collective en faveur de la santé des femmes. Mais cette mobilisation dépasse le seul champ...

Contribution pour un Code de la Commande publique qui répond aux exigences du JUB JUBAL JUBANTI. Par Moussa DIAGNE

La réforme des marchés publics est née des négociations internationales sur l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC) entre 1986 et 1994, connues sous l’appellation du cycle d’Uruguay ou d’Uruguay Round. Il constitue le dernier et le plus...

AGENDA NATIONAL DE TRANSFORMATION DU SERVICE PUBLIC 2025 – 2029

AGENDA National De Transformation du Service publicTélécharger

PPP au Sénégal : sécuriser technique et financement grâce aux accords d’interface et direct. Par Oumar COULIBALY

Les Partenariats Public-Privé (PPP) constituent aujourd’hui un levier stratégique pour le financement et la réalisation des grandes infrastructures au Sénégal[1]. Leur succès repose sur la coordination de multiples acteurs : autorités publiques, sociétés de projet,...

Partenariats public-privé au Sénégal : entre ambitions réformatrices et réalités de mise en œuvre. Par Fatma Awa Yel Sall

Introduction “Les partenariats public-privé (PPP) au Sénégal sont un levier stratégique pour mobiliser les ressources nécessaires à la réalisation de projets d'infrastructures structurantes, tout en allégeant le fardeau financier de l'État[1]. » Cette citation...