Les majorités à l’Assemblée nationale à la lumière des résultats provisoires des élections législatives du 31 juillet 2022

La Commission nationale de recensement des votes a proclamé les résultats provisoires issus des élections législatives du 31 juillet 2022 conformément aux dispositions des articles LO 142, 143, 192 et 193 du Code électoral en indiquant notamment que la répartition du nombre de sièges des 165 députés à l’Assemblée nationale : coalition BBY (82), coalition YAW (56), coalition Wallu (24), coalition AAR (1) ; coalition Bokk Guis Gis/liguey (1), coalition les serviteurs MPR (1). Cette distribution des sièges illustre la nécessité de rechercher une majorité suffisante pour contrôler le Parlement né des résultats provisoires. Au regard de la représentation actuelle, une majorité relative semble se dégager avec la coalition au pouvoir arrivée en tête. Dans l’espace public, tous les qualificatifs sont donnés pour saisir le nouveau visage du Parlement qui ne résiste pas à l’évolution de la démocratie libérale secouée par la tendance « illibéraliste » et « populiste » de la démocratie. L’Assemblée nationale sera-t-elle incontrôlable ou dominée ? Quel type de majorité sera retenu pour assoir une démocratie parlementaire ? En tout état de cause, il convient d’apporter quelques clarifications sur les majorités à l’Assemblée nationale à l’aune de la Constitution. La majorité se manifeste de plusieurs formes au Parlement tant dans la procédure législative (I) que dans le contrôle de l’action gouvernementale et présidentielle (II). Ici, elle apparait comme principe décisionnaire.

II. La majorité dans la procédure législative

Dans la procédure législative, deux types de majorités peuvent apparaitre : la majorité des suffrages exprimés (A) et celle des membres composant l’Assemblée nationale (B).

A. La majorité calquée sur les suffrages exprimés

La forme de majorité exigée dans le vote des lois ordinaires est celle qualifiée d’« absolue ». Elle dérive de l’article 71 de la Constitution en ces termes « Après son adoption par l’Assemblée nationale à la majorité absolue des suffrages exprimés, la loi est transmise sans délai au Président de la République pour promulgation ». Ce qui signifie que pour qu’une loi ordinaire soit votée, il faut la majorité des députés ayant voté le jour du vote, c’est-à-dire les « suffrages exprimés ». Ce type de majorité renvoie à « la pluralité des votes qui correspond arithmétiquement à la moitié plus une des voix ou des votes » (O. Beaud).

Dans la procédure d’approbation d’une loi constitutionnelle dans l’hypothèse où le Président de la République décide de ne pas le présenter au Référendum, il est prévu une « une majorité des 3/5 des suffrages exprimés », en vertu de l’article 103 de la Constitution.

B. La majorité déterminée par la composition des membres de l’Assemblée nationale

Cette majorité apparait dans le vote de la loi organique. Celle-ci a pour finalité de compléter ou préciser les dispositions relatives à l’organisation ou le fonctionnement des institutions ou structures prévues ou qualifiées comme telle par la Constitution. Ainsi, l’article 78 de la Constitution prévoit que les lois organiques « sont votées et modifiées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale ». Dans cette hypothèse, il faut la moitié des députés siégeant à l’Assemblée nationale plus 1 des membres (165 : 2 + 1 = 83 députés). Pour ce type de loi, la procédure fait intervenir obligatoirement le Conseil constitutionnel avant la promulgation.

II. La majorité dans le contrôle de l’action gouvernementale et présidentielle

L’une des fonctions essentielles de l’Assemblée nationale est de contrôler de l’action gouvernementale. Il s’agit d’un moyen d’action caractérisant la relation entre l’Assemblée nationale et le gouvernement (A). De même, le Parlement peut interagir avec le Président (B). Dans les deux cas, une majorité est requise pour activer le levier de contrôle.

A. Relation entre l’Assemblée nationale et le Gouvernement

Dans le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale, la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale se jouera dans la Déclaration de politique générale du Premier ministre (art. 55), l’adoption de la motion de censure (art. 86-5), la question de confiance ou l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte (art. 86). Cette majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale est souvent qualifiée de « majorité constitutionnelle ».

B. Relation entre l’Assemblée nationale et le Président de la République

L’article 101 de la Constitution prévoit que l’Assemblée nationale peut mettre en accusation le Président de la République, pour haute trahison à la majorité des 3/5 des membres composant l’Assemblée nationale. En outre, l’article 73 de la Constitution dispose qu’en seconde lecture « la loi ne peut être votée…que si les trois cinquièmes des membres de l’Assemblée nationale se sont prononcés en sa faveur ».  A la lecture de ces deux dispositions, il faut 99 députés (165 x 3 : 5) dans le cadre de ce procédé décisionnaire, souvent dénommé « majorité qualifiée » ou « renforcée », car supérieure à la majorité absolue.

En conclusion, les majorités à l’Assemblée nationale se détermineront de manière délibérative en fonction des contingences ou des intérêts politiques du moment pour le jeu d’équilibre. La prudence est de mise. L’objet de la délibération va conditionner la majorité requise.

La nature de notre régime politique ne fait pas du Gouvernement une émanation de l’Assemblée nationale ; ce qui empêche une démocratie parlementaire où la majorité a le pouvoir sur le choix de la formation et de la transformation de l’Exécutif. Cette donne nous éloigne du régime parlementaire que beaucoup appellent de leurs vœux.

Moustapha FALL

Docteur en droit public

2 Commentaires

  1. Cheikhna Ahmed tidiane Aïdara

    Je commencerai par remercier Monsieur le docteur pour les éclairages apporté à cette question brûlante de l’actualité et comme docteur l’a si bien expliqué et démontré ce que j’ai pu comprendre c’est que on doit être député du peuple et non député de quelqu’un donc ne pas surtout prendre son statut comme une arme pour s’adonner aux sabotages .
    Et cet posture de l’assemblée peut être bénéfique car le presque équilibre obligera à chaque député de prendre toutes ses responsabilités.

    Réponse
  2. Dieye Magueye

    Machallah mon ami, c’est vraiment riche d’analyse

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A propos des actes détachables du contrat en droit administratif sénégalais. Par Dr Ameth DIALLO

A propos des actes détachables du contrat en droit administratif sénégalais. Observations sous l’arrêt n°=34 du 29 août 2019 rendu par la Chambre administrative de la Cour suprême. Saudi Bin Laden Group C/ Etat du Sénégal, BACS n° 17-18, 2019, p.164.   I. Note...

La procédure constitutionnelle de délégalisation au service de la politique de régulation des loyers : à propos de la décision du Conseil constitutionnel du n° 2/C/2023 du 1er février 2023. Par Papa Assane TOURE

Introduction La procédure de délégalisation encore appelée « déclassement »[1] est instituée par l’article 76, alinéa 2 de la Constitution. Cette disposition habilite le Conseil constitutionnel, à la demande du Président de la République ou du Premier Ministre, à...

De la délégalisation ou du déclassement de la loi n° 2014-03, portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée. Par Papa Makha DIAO

La compétence réglementaire est protégée par deux mécanismes constitutionnels. Il s’agit de l’irrecevabilité de l’article 83 de la Constitution et de la procédure du déclassement ou de la délégalisation prévue par l’alinéa 2 de l’article 76 de la Constitution. Si le...

Le recours juridictionnel en annulation des actes de l’autorité de régulation de la commande publique. Par Cheikh Mbacké NDIAYE

La directive n° 05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine en son article 11 exige des États membres à ce que les litiges relatifs à la commande publique...

Newsletter « Tabax suñu PPP, Nguir Tabax suñu reew »

Mot du Ministre L’une des activités marquantes du Ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération en 2022 est la campagne de vulgarisation « Tabax suñu PPP, Nguir Tabax suñu reew ». C ette c ampagne d ’une grande envergure a permis à l’Unité nationale d’Appui...

La consécration de la concession d’aménagement dans le nouveau dispositif des Partenariats Public- Privé (PPP) de l’UEMOA. Par Dr Papa Makha DIAO

La consécration de la concession d’aménagement dans le nouveau dispositif des Partenariats Public- Privé (PPP) de l’UEMOA Dr Papa Makha DIAO papmakha@yahoo.fr   Le modèle de partenariat public- privé (PPP) peut-il contribuer à promouvoir le logement et le...

Le cabinet : un service atypique du département ministériel, Par Papa Assane TOURE

Le cabinet : un service atypique du département ministériel   Le cabinet ministériel est un service du département composé d’un groupe collaborateurs personnels choisis par le ministre en raison de leurs qualités (techniques ou personnelles) et de la confiance qu’il...

Les fondements législatifs de la procédure de numérisation judiciaire au Sénégal

INTRODUCTION Le numérique recèle de réelles potentialités qui peuvent profiter au milieu judiciaire afin de rationaliser les flux de travail, de communiquer de l’information aux justiciables mais aussi de leur permettre d’effectuer des démarches en ligne, de suivre...

Des performances du système d’éducation et de formation au Sénégal, Par El Cantara SARR

« Notre crédibilité dépend toujours de notre dernière performance » Introduction Traiter de l’efficacité d’un système d’éducation et de formation (SEF) revient à considérer simultanément plusieurs variables liées: i) à la politique éducative, ii) au positionnement des...

La contractualisation fiscale des prix de transfert et les contrats d’investissement au Mali. Par Demba TRAORE, Juriste fiscaliste,

Introduction « Les politiques fiscales des Etats doivent s’internationaliser, à l’instar des pratiques fiscales des entreprises »[1]. Cela est plus qu’une nécessité pour le Mali[2]. La fiscalité est un pilier fondamental de la souveraineté des Etats. Le système fiscal...