Notes Souveraines sous Tension : Le Rebasage du PIB, Solution ou Illusion ? Par Modou BEYE

           Notes Souveraines sous Tension : Le Rebasage du PIB, Solution ou Illusion ?

Introduction

Le Sénégal, à l’instar de nombreuses économies émergentes, est confronté à des défis économiques multidimensionnels qui se manifestent de manière tangible à travers la détérioration de ses notations souveraines. Ces évaluations, réalisées par des agences internationales telles que Moody’s et Standard & Poor’s[1], constituent un baromètre essentiel de la santé économique et de la solvabilité d’un État. La récente dégradation de ces notations avec « une perspective négative » souligne la nécessité d’une analyse approfondie des stratégies économiques mises en œuvre par le pays, ainsi que de l’exploration de nouveaux outils susceptibles d’améliorer sa perception sur la scène internationale. Dans ce contexte, le rebasage du Produit Intérieur Brut (PIB) émerge comme un levier potentiel pour renforcer les indicateurs macroéconomiques et redorer l’image économique du Sénégal sur la scène internationale. Cependant, dans quelle mesure le rebasage du Produit Intérieur Brut (PIB) constitue-t-il un outil efficace pour améliorer les notes souveraines et atténuer la crise de la dette, ou s’agit-il d’un simple ajustement statistique, insuffisant pour remédier aux vulnérabilités structurelles des économies ? 

Le rebasage, en tant que processus de mise à jour de l’année de base utilisée pour calculer le PIB, offre une opportunité de réévaluer la performance économique du pays à la lumière des changements structurels et sectoriels récents. Cette opération, qui implique une révision des pondérations et une intégration de nouvelles données, peut conduire à une représentation plus précise de la taille et de la composition de l’économie sénégalaise.

Le rebasage du PIB est une opération statistique qui consiste à modifier l’année de base utilisée pour calculer cet indicateur économique. Cette révision permet de mettre à jour les pondérations des différents secteurs de l’économie et d’intégrer les évolutions structurelles récentes.

Bien qu’il s’agisse d’un ajustement statistique, le rebasage peut avoir des implications significatives sur la perception de la taille et de la dynamique de l’économie, et donc influencer indirectement les notations souveraines.

Les notations souveraines sont des évaluations indépendantes de la capacité d’un État à honorer ses obligations financières. Elles sont émises par des agences de notation de crédit et reposent sur une analyse rigoureuse des indicateurs économiques, financiers et politiques du pays.

Juridiquement, ces notations n’ont pas de valeur contraignante, mais elles exercent une influence considérable sur les décisions des investisseurs internationaux. Une notation élevée facilite l’accès aux marchés financiers à des taux d’intérêt avantageux, tandis qu’une notation dégradée peut entraîner une augmentation du coût de l’emprunt et une réduction des flux de capitaux.

Les projets et programmes du Sénégal de ces dernières années, ont indéniablement stimulé la croissance économique et transformé le paysage productif du pays. Ces avancées nécessitent des instruments de mesure et d’évaluation sophistiqués, alignés sur les normes internationales, afin de refléter fidèlement les réalités économiques. La comptabilité nationale, pierre angulaire de ces instruments, joue un rôle crucial en fournissant un cadre cohérent pour l’analyse des données économiques.

Conscient de ces enjeux, le gouvernement sénégalais a entrepris des réformes significatives de son système de comptes nationaux. En 2015, une transition de l’année de base 1999 à 2014 a marqué une étape importante, plaçant le Sénégal à l’avant-garde des pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) en matière de conformité aux normes internationales, notamment le Système de Comptabilité Nationale (SCN) de 2008 des Nations Unies.

Cependant, dans un environnement économique en constante évolution, la nécessité d’actualiser régulièrement l’année de base se fait sentir. La période recommandée de cinq ans entre chaque rebasage souligne l’importance de maintenir la pertinence et la fiabilité des indicateurs économiques. De plus, l’adhésion récente du Sénégal à la Norme Spéciale de Diffusion de Données (NSDD) du Fonds Monétaire International (FMI)[2], qui fixe des exigences avérées en matière de diffusion des agrégats économiques[3], renforce l’impératif de fournir des données économiques précises et à jour.

C’est dans cette optique que l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) a lancé un projet de rebasage avec l’année 2021 comme nouvelle référence. Ce projet vise à combler les lacunes persistantes en matière de sources de données et à mieux intégrer l’impact des mutations économiques sur les secteurs productifs et les comportements de consommation. Ce projet bénéficie du soutien de partenaires stratégiques tels que la Banque Africaine de Développement (BAD) et la Banque Mondiale, soulignant son importance tant au niveau national que régional.

Le rebasage du PIB suscite des débats théoriques au sein de la communauté économique. Certains auteurs, à l’instar de Ahmad et al. (2017)[4], soulignent son rôle essentiel dans l’amélioration de la précision des statistiques économiques et la prise en compte des évolutions structurelles de l’économie. Ils considèrent le rebasage comme un outil légitime de communication économique, permettant de présenter une image plus fidèle de la réalité économique d’un pays. De même des auteurs comme Symphorien Ndang TABO (2021)[5] et  Sani Yaya (2020)[6] sont favorables au rebasage. Symphorien Ndang TABO (2021)  soutient par exemple : «  que le rebasage est essentiel pour refléter les réalités économiques actuelles et améliorer la comparabilité des données ». Dans la même veine, Sani Yaya (2020)  met en avant les avantages du rebasage : «  pour repositionner les pays africains dans leur zone d’intégration économique ».

D’autres, en revanche, mettent en garde contre les risques de manipulation statistique et d’illusion d’amélioration de la situation économique. Morgenstern[7] (1963) et Jerven (2013)[8] ont particulièrement mis en évidence les limites des données économiques et les risques de biais.

Aussi, des auteurs comme Jacques Torregano et Alain Faujas (2020)[9] soulignent que : « le rebasage peut donner une image trop optimiste de l’économie sans résoudre les problèmes structurels ». Dans le même ordre d’idées, les Experts de la CEMAC et AFRISTAT (2019)[10] ont mis en garde les Etats contre l’utilisation du rebasage comme un outil de communication sans réformes structurelles.

Ces discussions sur le réajustement du PIB en Afrique sont étroitement liées à d’autres préoccupations majeures. Il y a d’abord la question de la fiabilité des données, souvent remise en cause par les experts. Ensuite, l’effet d’illusion économique, qui risque de donner une image faussée de la réalité économique. L’intégration du secteur informel, difficile à mesurer, pose également problème. Enfin, son impact potentiel sur les politiques publiques, avec la crainte de décisions moins rigoureuses est aussi sujet de discussion.

Sur le plan pratique, le rebasage du PIB revêt une importance capitale pour le Sénégal. Une amélioration des indicateurs macroéconomiques, telle que la réduction du ratio dette/PIB, peut avoir des implications concrètes sur l’accès du pays aux marchés financiers internationaux et sur le coût de son endettement. De plus, le rebasage peut renforcer la crédibilité des politiques économiques du gouvernement et attirer les investissements étrangers, contribuant ainsi à la croissance économique et au développement du pays.

Cependant, il est essentiel de souligner que le rebasage ne constitue pas une solution miracle aux défis économiques du Sénégal. Il doit être accompagné de réformes structurelles ambitieuses visant à renforcer la compétitivité de l’économie, améliorer la gestion des finances publiques et à promouvoir une croissance inclusive et durable.

Ainsi, cette étude explore en profondeur les implications du rebasage du PIB pour l’économie sénégalaise, en analysant son potentiel à optimiser les indicateurs macroéconomiques et à renforcer la crédibilité souveraine, tout en examinant ses limites face aux impératifs structurels. Pour ce faire, nous examinerons dans une première partie comment le rebasage peut être perçu comme un levier pour améliorer les indicateurs économiques et la confiance des agences de notation, en mettant en lumière la réévaluation des ratios macroéconomiques et la transparence de la méthodologie (I). Dans une seconde partie, nous analyserons les limites du rebasage face aux défis structurels, en évaluant la perception des agences de notation et les débats critiques entourant cette pratique(II).

  1. Le rebasage, un levier pour les Indicateurs et la Confiance.

Pour explorer en détail l’impact du rebasage, nous allons d’abord examiner son rôle dans la réévaluation des ratios macroéconomiques (A), puis nous nous pencherons sur les enjeux de confiance et de méthodologie qu’il soulève (B).

  1. La réévaluation des ratios macroéconomiques : Un signal de solvabilité.

La réévaluation des ratios macroéconomiques, en tant que signal de solvabilité, repose sur deux éléments essentiels : d’abord, l’effet amplificateur du rebasage sur le PIB nominal (1), et ensuite, la mise en lumière des secteurs émergents qui redessinent la structure économique nationale (2).

  1. L’effet amplificateur du rebasage sur le PIB nominal.

Le rebasage du Produit Intérieur Brut (PIB) constitue une opération statistique d’envergure, visant à actualiser l’année de référence utilisée pour le calcul des agrégats économiques. Cette révision a un impact direct sur le PIB nominal, généralement en l’augmentant[11], ce qui entraîne une modification des ratios macroéconomiques clés. Parmi ces ratios, le ratio dette/PIB et le déficit budgétaire/PIB sont particulièrement scrutés par les agences de notation et les investisseurs internationaux.

Le ratio dette/PIB, qui mesure le niveau de la dette publique par rapport à la taille de l’économie, est un indicateur essentiel de la soutenabilité de la dette d’un pays. Une augmentation du PIB nominal, résultant du rebasage, entraîne mécaniquement une diminution de ce ratio. Par exemple, si la dette publique du Sénégal s’élève à 18 000 milliards de FCFA et que le PIB passe de 18 000 à 24 000[12] milliards de FCFA grâce au rebasage, le ratio dette/PIB chute de 100 % à 75 %. Cette amélioration apparente peut être interprétée positivement par les agences de notation, telles que Moody’s et Standard & Poor’s, qui l’utilisent comme un indicateur de la capacité du pays à honorer ses engagements financiers.

De même, le déficit budgétaire/PIB, qui mesure le déficit budgétaire par rapport à la taille de l’économie, est un autre indicateur clé de la santé financière d’un pays. Une augmentation du PIB nominal entraîne une diminution de ce ratio, ce qui peut également être perçu favorablement par les agences de notation.

Cependant, il est crucial de noter que les agences de notation ne se contentent pas d’analyser les chiffres bruts. Elles examinent également la qualité de la croissance économique, la structure de la dette, la stabilité politique et la gouvernance. Ainsi, une amélioration des ratios macroéconomiques due au rebasage ne garantit pas automatiquement une amélioration des notes souveraines.

Au-delà de ces implications sur les ratios macroéconomiques, le rebasage du PIB révèle également des changements structurels profonds au sein de l’économie.

2. La mise en évidence des changements structurels

Le rebasage du PIB offre l’opportunité de mieux refléter les transformations structurelles de l’économie, en intégrant les secteurs émergents et les activités économiques auparavant sous-estimées. Cette mise à jour statistique permet de donner une image plus fidèle et moderne de l’économie nationale, ce qui peut renforcer la perception de sa robustesse et de sa diversification.

Au Sénégal, par exemple, le rebasage pourrait permettre de mieux prendre en compte la contribution croissante des services numériques, tels que les fintechs et les plateformes de commerce en ligne, ainsi que l’apport significatif de l’économie informelle, qui représente une part importante de l’activité économique. L’inclusion de ces secteurs émergents dans le calcul du PIB peut entraîner une augmentation significative de ce dernier, reflétant ainsi une réalité économique plus dynamique et diversifiée.

De plus, le rebasage peut permettre de mieux intégrer les nouvelles industries, telles que l’extraction pétrolière et gazière, qui se développent rapidement au Sénégal. L’inclusion de ces secteurs stratégiques dans le calcul du PIB peut renforcer la perception de la capacité du pays à générer des revenus futurs et à diversifier ses sources de croissance.

Une économie perçue comme plus diversifiée, dynamique et capable de s’adapter aux changements est un atout pour les agences de notation, qui recherchent des signes de croissance durable et de résilience face aux chocs économiques.

La précision avec laquelle ces changements structurels sont mis en évidence dépend étroitement de la méthodologie employée lors du rebasage, une question de confiance et de technique que nous allons maintenant explorer.

B. la mécanique du rebasage : une question de confiance et de méthodologie.

La crédibilité du rebasage repose sur deux piliers essentiels : la rigueur de la technique employée (1), et l’efficacité de la gouvernance mise en place (2).

  1.  La méthodologie du rebasage : un gage de crédibilité.

Le processus de rebasage du PIB est une opération technique complexe qui nécessite une méthodologie rigoureuse et transparente. Il comprend plusieurs étapes clés, notamment le choix de la nouvelle année de base, la collecte de données actualisées, l’adoption de nouvelles méthodologies et la révision des classifications.

Le choix de la nouvelle année de base est une étape cruciale, car elle doit être représentative de la structure économique actuelle du pays. Au Sénégal, par exemple, l’année 2021 devrait être choisie comme nouvelle année de base, car elle reflète mieux les réalités économiques actuelles que l’année 2014, qui est actuellement utilisée.

La collecte de données actualisées est une autre étape essentielle du processus de rebasage. Elle implique la réalisation d’enquêtes économiques et sociales auprès des entreprises et des ménages, ainsi que l’utilisation de données administratives provenant des registres fiscaux et douaniers. Au Sénégal, l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) joue un rôle central dans la collecte de ces données.

L’adoption de nouvelles méthodologies est également nécessaire pour intégrer les évolutions économiques et les nouvelles activités dans le calcul du PIB. Au Sénégal, l’adoption du Système de Comptabilité Nationale (SCN) 2008 permettrait de mieux prendre en compte les services numériques et l’économie informelle[13].

Enfin, la révision des classifications des industries et des produits est nécessaire pour refléter les changements structurels de l’économie. Au Sénégal, par exemple, la classification des activités économiques pourrait être mise à jour pour mieux représenter les services numériques et les nouvelles industries.

2. Acteurs et Gouvernance : l’orchestration du rebasage pour une Confiance renforcée.

Le processus de rebasage du PIB au Sénégal est orchestré par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), qui assume la maîtrise d’œuvre technique, en étroite collaboration avec le Ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, garant de la supervision et du financement. Le Ministère des Finances et du Budget, quant à lui, assure la cohérence des nouveaux agrégats avec les politiques budgétaires, tandis que les partenaires internationaux, tels que le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale, apportent un soutien technique et financier crucial. Ainsi, l’ANSD joue un rôle central dans la collecte de données, l’adoption de méthodologies et le calcul des nouveaux agrégats économiques, s’appuyant sur des enquêtes nationales telles que le Recensement Général des Entreprises (RGE) et collaborant avec diverses institutions publiques et privées. Par ailleurs, le Ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération assure la supervision du projet, coordonne les relations avec les partenaires internationaux et communique les résultats du rebasage et leurs implications. De surcroît, les partenaires internationaux contribuent à garantir la conformité aux normes internationales et la fiabilité des résultats. Une gouvernance transparente et une coordination efficace entre ces acteurs sont essentielles pour la qualité et la crédibilité du processus, renforçant ainsi la confiance des agences de notation et des investisseurs. Cependant, il est crucial de souligner que le rebasage peut créer un effet d’optique, en donnant l’illusion d’une croissance plus forte sans nécessairement refléter des améliorations fondamentales dans l’économie réelle. Une analyse approfondie des facteurs sous-jacents reste donc indispensable, car les agences de notation souveraines évaluent également la qualité de la croissance, la solidité des institutions, la stabilité politique et la gestion des finances publiques. Une approche holistique est donc essentielle pour obtenir une notation favorable. Bien que le rebasage offre une image plus précise de l’économie, il ne saurait occulter les défis structurels persistants, tels que la dépendance à certains secteurs, les inégalités de revenus ou la vulnérabilité aux chocs externes.

  II. Les limites du rebasage face aux défis structurels.

Pour approfondir notre analyse des limites du rebasage, nous nous pencherons successivement sur son potentiel effet d’optique (A), et sur les exigences d’une analyse holistique pour les notations souveraines (B)

  1. Le rebasage : Un éffet d’optique face aux défis de l’économie réelle.

Pour comprendre comment le rebasage peut créer un effet d’optique, nous examinerons d’abord le risque de découplage entre le rebasage et les défis structurels (1), puis nous soulignerons l’importance des réformes structurelles pour renforcer la confiance souveraine(2).

  1. Rebasage et défis structurels : Un découplage Risqué.

Le rebasage est un ajustement statistique sans impact structurel. Il est un ajustement statistique qui modifie la mesure de l’activité économique, mais ne change pas les fondamentaux de l’économie. Il ne résout pas les problèmes structurels tels que l’endettement élevé, la dépendance aux matières premières, la faiblesse des institutions ou les inégalités sociales.

Par exemple, une amélioration du ratio dette/PIB due au rebasage ne signifie pas nécessairement une réduction de la dette réelle du pays, ni une augmentation de sa capacité à générer des revenus fiscaux. De même, l’inclusion de nouveaux secteurs dans le calcul du PIB ne garantit pas leur contribution à long terme à la croissance économique ou à la création d’emplois.

Les agences de notation, qui évaluent la crédibilité financière d’un pays, examinent au-delà des chiffres du PIB. Elles prennent en compte des facteurs tels que la stabilité politique, la qualité de la gouvernance, la capacité à mettre en œuvre des réformes structurelles et la résilience face aux chocs économiques.

Ainsi, le rebasage du PIB peut être perçu comme un signal positif, mais il ne suffit pas à lui seul à améliorer les notes souveraines. Il doit être accompagné de réformes structurelles crédibles et d’une gestion saine des finances publiques.

2- Réformes Structurelles : Le socle indispensable de la Confiance Souveraine.

Pour asseoir durablement sa crédibilité financière et améliorer ses notations souveraines, le Sénégal doit impérativement coupler le rebasage du PIB à un programme de réformes structurelles ambitieux et crédible. Ces réformes, essentielles à la consolidation de la confiance des investisseurs, doivent cibler des domaines stratégiques : la transparence budgétaire, la modernisation de la gestion des finances publiques, la réforme fiscale, la gestion de la dette et le renforcement institutionnel.

En premier lieu, le renforcement de la transparence budgétaire requiert une publication régulière de rapports détaillés sur les dépenses et les recettes de l’État. L’adoption de normes de publication rigoureuses, alignées sur les meilleures pratiques internationales, et la facilitation de l’accès public aux informations budgétaires sont des leviers essentiels.

Ensuite, la modernisation de la gestion des finances publiques passe par la digitalisation des processus budgétaires, la mise en place de systèmes de suivi des dépenses et la lutte contre la corruption. La mise en œuvre effective du Système Intégré de Gestion de l’information financière de l’État (SIGIF)[14] s’avère ainsi cruciale pour optimiser l’efficacité et la transparence des dépenses publiques.

Par ailleurs, la réforme fiscale doit viser l’élargissement de l’assiette fiscale, la simplification du système et la lutte contre l’évasion fiscale[15]. La mise en place de mesures incitatives pour encourager la formalisation des entreprises du secteur informel et leur contribution au système fiscal est une piste à privilégier.

Concernant la gestion de la dette, une politique d’endettement prudente et coordonnée, une diversification des sources de financement et une réduction de la dépendance à la dette extérieure sont indispensables pour garantir la soutenabilité de la dette. La centralisation de la gestion de la dette au niveau de la Direction de la Dette Publique et la préférence pour les emprunts à long terme et à taux fixe permettraient de limiter la vulnérabilité aux fluctuations des marchés financiers.

Enfin, le renforcement institutionnel, à travers le renforcement des capacités des institutions publiques, la promotion de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, est crucial pour créer un environnement propice à l’investissement et à la croissance. Le renforcement des pouvoirs de l’Inspection Générale d’État et de la Cour des Comptes est essentiel pour garantir le contrôle et la transparence des dépenses publiques.

La conjugaison de ces réformes et du rebasage du PIB permettra de consolider la confiance des investisseurs, d’améliorer la notation souveraine du Sénégal et de poser les fondements d’une croissance économique durable.

B. Notation souveraine : l’éxigence d’une analyse holistique.

Pour saisir l’exigence d’une analyse holistique des notations souveraines, nous examinerons d’abord comment les agences évaluent les risques (1), puis nous aborderons les controverses et les limites du rebasage, qui peuvent nuire à la crédibilité (2).

  1.  Notation Souveraine : L’évaluation des risques au prisme des Agences.

Les agences de notation, telles que Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings, jouent un rôle crucial dans l’évaluation de la crédibilité financière des pays, attribuant des notes souveraines qui reflètent leur opinion sur la capacité d’un pays à honorer ses engagements financiers. Cependant, leur analyse dépasse largement les chiffres du PIB et les ratios macroéconomiques. Elles réalisent des évaluations approfondies, prenant en compte des facteurs tels que la stabilité politique (évaluant la stabilité du gouvernement, la qualité des institutions démocratiques et le risque de conflits sociaux), la qualité de la gouvernance (examinant la transparence de la gestion des finances publiques, la lutte contre la corruption et la qualité de la réglementation), la capacité à mettre en œuvre des réformes (évaluant la crédibilité des politiques économiques et la capacité du gouvernement à mener des réformes structurelles) et la résilience face aux chocs (analysant la capacité du pays à faire face aux crises économiques ou naturelles.

Ainsi, une amélioration des ratios macroéconomiques due au rebasage du PIB peut être perçue comme un signal positif, mais elle ne garantit pas automatiquement une amélioration des notes souveraines.

Au-delà de l’évaluation des risques par les agences, il est essentiel de considérer les controverses et les limites du rebasage, qui peuvent sérieusement compromettre la crédibilité des notations souveraines.

2- Controverses et limites du rebasage : Un débat préjudiciable à la crédibilité.

Le rebasage du PIB, bien qu’outil technique, est loin d’être exempt de controverses et de critiques, ce qui peut sérieusement nuire à sa crédibilité et, par conséquent, à son impact sur les notes souveraines. En premier lieu, la fiabilité des données utilisées pour le rebasage est souvent mise en doute, en particulier dans les pays en développement où les systèmes statistiques peuvent être moins robustes. Cette incertitude alimente les inquiétudes quant à la précision des nouveaux agrégats économiques. Deuxièmement, le rebasage peut créer une illusion économique, donnant l’impression d’une amélioration conjoncturelle alors que des problèmes structurels profonds persistent, ce qui peut induire en erreur les décideurs et les investisseurs. Troisièmement, l’intégration complexe du secteur informel dans le calcul du PIB soulève des questions de méthodologie et peut introduire des biais, affectant la comparabilité et la précision des données. Quatrièmement, certains craignent que les gouvernements n’exploitent le rebasage pour justifier des politiques économiques moins rigoureuses, en se basant sur une image potentiellement surévaluée de la santé économique. Cinquièmement, le coût élevé du rebasage, tant en termes de ressources financières que de capacités techniques, suscite des interrogations sur le rapport coût-bénéfice de cette opération[16]. Sixièmement, le risque de perte d’aides internationales, si le rebasage propulse un pays dans une catégorie de revenu supérieure, représente un enjeu majeur pour les pays en développement.

Enfin, la comparabilité des données entre pays, bien qu’améliorée par le rebasage, reste un défi en raison des différences méthodologiques. Ces critiques, en alimentant les doutes des agences de notation, peuvent significativement limiter l’impact positif du rebasage sur les notes souveraines.

Conclusion

Le rebasage du PIB offre des opportunités significatives pour améliorer certains indicateurs macroéconomiques, renforçant ainsi la perception d’une économie plus robuste et diversifiée. Cependant, il ne peut être considéré comme une solution isolée aux défis structurels des finances publiques sénégalaises. Seule une combinaison entre le rebasage et des réformes structurelles permettra de rassurer les agences de notation et d’attirer des investissements durables. Ce sujet soulève une question fondamentale : Comment le Sénégal peut-il transformer cet ajustement technique en levier stratégique pour une relance économique inclusive ?

Par Modou BEYE

Inspecteur du Trésor, Directeur des Finances et de la Comptabilité de la SAFRU SA


[1] Ces deux agences font partie des trois plus grandes agences de notation financière, souvent appelées les « Big Three ». Elles sont :

  • Standard & Poor’s (S&P) : Fondée en 1860, c’est l’une des agences de notation les plus influentes au monde.
  • Moody’s Investors Service : Créée en 1909, elle est également un acteur majeur du secteur.
  • Fitch Ratings : Fondée en 1913, elle complète le trio des grandes agences de notation.

Ces agences jouent un rôle crucial dans les marchés financiers en évaluant la solvabilité des émetteurs de dette, qu’il s’agisse d’entreprises, d’États ou de collectivités locales. Leurs notations influencent les décisions d’investissement et peuvent avoir un impact significatif sur les coûts de financement.

[2] La Norme spéciale de diffusion de données (NSDD) a été établie par le Fonds monétaire international (FMI) en 1996 en réponse aux crises financières du milieu des années 1990. L’objectif était d’améliorer la transparence et la disponibilité des données économiques et financières des pays membres du FMI, afin de renforcer la stabilité financière mondiale. Le Sénégal y adhéré depuis 2017.

[3] Banque Africaine de Développement, Sénégal – Projet de changement d’année de base des comptes nationaux du Sénégal (Rebasing) – Rapport d’évaluation de projet, 14 novembre 2023, page 6, https://www.afdb.org.

[4] Ahmad, N., Aspden, C., & Ruffles, D. (2017). Towards improved measures of income from owner-occupied dwellings: progress and experience in OECD countries. OECD Statistics Working Papers, (2017/02).

[5] Symphorien Ndang TABO, « Le rebasage des comptes nationaux : Situation et implications dans les États membres d’AFRISTAT », 2021

[6] Sani Yaya, « L’enjeu d’un nouveau mode de calcul du PIB », Ouest-Afrique, 2020.

[7] Morgenstern, O. (1963). On the accuracy of economic observations. Princeton University Press.

[8] Jerven, M. (2013). Poor numbers: How we are misled by African development statistics and what to do about it. Cornell University Press.   

[9] Jacques Torregano et Alain Faujas, « Sénégal, Togo, Côte d’Ivoire : ce que changent les PIB « rebasés », Jeune Afrique, 2020.

[10] Experts de la CEMAC et AFRISTAT, « les enjeux et défis du rebasage des comptes nationaux pour le cadrage macroéconomique », 2019

[11] Bien que le rebasage du PIB nominal ait généralement tendance à l’augmenter, il existe des situations où il pourrait entraîner une diminution, bien que cela soit rare. Voici des hyothèses possibles :

  • Correction d’erreurs importantes :
    • Si l’ancienne base de calcul contenait des erreurs significatives, telles que des surestimations de la production ou des prix, le rebasage pourrait corriger ces erreurs et entraîner une diminution du PIB nominal.
  • Changements méthodologiques majeurs :
    • Si le rebasage s’accompagne de changements importants dans la méthodologie de calcul du PIB, tels que l’exclusion de certaines activités économiques ou l’adoption de nouvelles sources de données, cela pourrait entraîner une diminution du PIB nominal.
  • Déflation :
    • Si une économie subit une déflation importante, c’est-à-dire une baisse générale des prix, le PIB nominal pourrait diminuer, même après un rebasage. En effet, le PIB nominal est calculé en utilisant les prix courants, et une baisse des prix entraînera une diminution de sa valeur.
  • Réévaluation de la valeur de certains secteurs:
    • Il est possible que lors d’un rebasage, la valeur de certains secteurs économiques soit réévaluée à la baisse, ce qui pourrait impacter le PIB nominal de manière négative.

Cependant, il est important de noter que ces situations sont relativement rares. Le rebasage est généralement conçu pour améliorer la précision et la fiabilité des données du PIB, et il a donc tendance à entraîner une augmentation de sa valeur.

[12] Dans cette hypothèse, le rebasage a amélioré le PIB nominal du Sénégal de plus de 30%.

[13] L’adoption du Système de Comptabilité Nationale (SCN) 2008 au Sénégal représente une avancée significative pour une meilleure appréhension des réalités économiques contemporaines, notamment en ce qui concerne les services numériques et l’économie informelle en ce qu’il offre d’abord des directives plus précises pour l’évaluation des actifs incorporels, tels que les logiciels, les bases de données et la recherche-développement. Cela est crucial pour mesurer la contribution des entreprises du secteur numérique, dont la valeur réside souvent dans ces actifs et ensuite permet une classification plus fine des activités numériques, ce qui facilite la collecte de données et l’analyse de leur impact sur l’économie. Il permet de distinguer les services de plateforme, le commerce électronique, les services de cloud computing, etc. Enfin, le SCN 2008 fournit des recommandations pour la mesure des activités de l’économie collaborative, telles que les plateformes de covoiturage, de location de logements ou de services à la demande. Cela permet de mieux appréhender la contribution de ces nouvelles formes d’activité à l’économie.

Aussi, concernant l’économie informelle, le SCN 2008 encourage l’utilisation de méthodes d’estimation plus sophistiquées pour mesurer l’économie informelle. Cela peut inclure l’utilisation de données provenant d’enquêtes spécifiques, de données administratives ou de techniques d’estimation indirectes.

Ensuite, le nouveau système fournit des directives pour la prise en compte des unités de production informelles, telles que les petites entreprises non enregistrées ou les travailleurs indépendants. Cela permet de mieux refléter la réalité de l’économie sénégalaise, où l’économie informelle joue un rôle important. Enfin, le SCN 2008 encourage une approche progressive pour l’intégration de l’économie informelle dans les comptes nationaux. Cela implique de mettre en place des stratégies de collecte de données adaptées et de renforcer les capacités statistiques des institutions nationales.

[14] Le SIGIF est un projet lancé par l’état sénégalais en 2016 visant le pilotage des dépenses de l’État dans le cadre de la mise en oeuvre des directives de l’UEMOA et la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Son application doit être accélérée.

[15] Surtout dans le domaine des hydrocarbures ou l’optimisation fiscale agressive des entreprises exploitantes coute des milliards de dollar par an à l’Afrique.

[16] Par exemple, le projet de rebaising en cours devrait couter au Sénégal 3 665 000 000 FCFA dont les 375 000 000 représentent un don du Fonds d’assistance technique pour les pays à revenu intermédiaire (FAT PRI) selon le Rapport d’évaluation de projet de la BAD précité, page 5.

1 Commentaire

  1. Awayel

    Un article clair et limpide qui suscite d’avantage l’intérêt de réfléchir sur cette thématique au vu du contexte économique sénégalais mais surtout à l’ère de la transparence.

    C’est toujours un plaisir de lire le brillant modou Beye .

    Réponse

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A la suite de la réunion interministérielle du 18 mars 2025 sur l’état civil, des contributions ont été publiées dans la presse nationale. Le Premier Ministre a pris treize (13) mesures de remédiation. En vue de permettre une réussite desdites mesures, les suggestions...

La Sécurité Routière au Sénégal : Une Urgence Nationale. Par Papa Aly SOW

Chaque année, les routes sénégalaises sont le théâtre de drames humains, faisant de l’insécurité routière l’une des principales causes de mortalité dans le pays. Excès de vitesse, conduite en état d’ébriété, non-respect du Code de la route et manque de formation des...

La censure de la loi portant interprétation : un entre-deux jurisprudentiel ? Par Meïssa DIAKHATE

Certainement, après s’être libéré d’une longue hibernation dans les creux profanes de « l’incompétence » et après avoir récemment accompli un pèlerinage sur une terre purement juridique où pousse « l’arbre sacré » de l’Etat de droit, le Conseil...

Une nouvelle législature, de nouvelles lois pour une enfance protégée. Par Moustapha SYLLA

L’année 2024 est très électorale au Sénégal, à la clé, deux élections. Les urnes ont exprimé une forte volonté de changement à tous les niveaux de notre gouvernance. Ce qui implique en outre pour les nouvelles autorités l’adoption de nouvelles lois, dans beaucoup de...

APPEL À CONTRIBUTIONS POUR LES MÉLANGES EN L’HONNEUR DUPROFESSEUR ABDOULAYE DIÈYE

MELANGES ABDOULAYE DIEYE APPEL CONTRIBUTION-VRAI-2Télécharger

Propositions pour une consolidation de l’Etat de droit au Sénégal : Nécessité d’une responsabilité pénale effective du Chef de l’Etat, des membres du Gouvernement, des députés et des magistrats. Par Mamadou Doudou SENGHOR

La Constitution du Sénégal proclame, dans son préambule, « le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale ». L’état de...

CONTRIBUTION AU DÉBAT À PROPOS DE L’INTERPRÉTATION DE LA LOI PORTANT AMNISTIE. Par Hamidou CAMARA

Il arrive parfois que la responsabilité pénale soit mise en échec pour un certain nombre de raisons. Il en est ainsi en cas d’adoption d’une loi portant amnistie. Stéphane Gacon écrivait que « l’amnistie est un processus juridique surprenant par l’effet radical qu’il...