Il arrive parfois que la responsabilité pénale soit mise en échec pour un certain nombre de raisons. Il en est ainsi en cas d’adoption d’une loi portant amnistie.
Stéphane Gacon écrivait que « l’amnistie est un processus juridique surprenant par l’effet radical qu’il impose : on oublie tout, rien ne s’est passé ». Par voie de conséquence, l’événement, réputé comme n’ayant jamais eu lieu, emporte effacement de l’infraction, arrêt des poursuites et extinction de la peine. En d’autres termes, les prisonniers retrouvent leur liberté et les exilés leur maison. Toujours selon les termes de l’agrégé d’histoire et par ailleurs, auteur d’une thèse de doctorat sur l’amnistie et la République en France, l’amnistie a « une utilité première et immédiate, celle de la pacification définitive après la lutte, celle de la volonté affirmée d’un retour à la normale ».
D’une manière assez synthétique, il s’agit de clore définitivement le conflit, d’y mettre un « Point Final ».
Dans Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 3ème Édition, Paris, PUF, 1992, p. 49, Gérard CORNU considère l’amnistie comme une « mesure qui ôte rétroactivement à certains faits commis à une période déterminée leur caractère délictueux ».
Aux termes du quatrième tiret de l’article 67 de la Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001, la loi fixe les règles concernant : « – la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l’amnistie (…) ».
L’amnistie se différencie de la grâce. En vertu de l’article 47 de la Constitution, « Le Président de la République a le droit de faire grâce ». La grâce est la mesure de clémence par laquelle le président de la République soustrait en tout ou partie un condamné à l’exécution de la peine prononcée contre lui (remise de peine) ou substitue à cette peine une peine plus douce.
Outre ces précisions terminologiques et par référence à l’évolution du débat en cours dans notre pays, nous trouvons plus que légitime d’engager une réflexion sur l’opportunité d’interprétation de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie.
L’abrogation de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie était une promesse électorale faite par l’actuel parti au pouvoir même si c’était sans compter sur la barrière juridique du principe de « non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère » qui voudrait qu’une loi nouvelle plus sévère que la loi ancienne ne puisse s’appliquer aux faits commis et non définitivement jugés avant son entrée en vigueur, d’où la pertinence du récent recours à une loi portant interprétation par l’Assemblée nationale à l’effet de faire ressortir ce qui est pardonnable et ce qui ne l’est pas au regard de la raison humaine et voire même du droit international.
À titre de rappel, l’actuel chef du gouvernement, à l’occasion d’une conférence organisée par la jeunesse patriotique à l’esplanade du Grand Théâtre, faisait remarquer que : « Est-ce que trouver une personne qui exerce ses droits, le tuer par balle, est-ce que cela fait partie du pardon? Est-ce vous nous avez une fois entendus dire qu’on va pardonner cela ? ». À l’analyse, cette proposition de loi n° 05/2025 portant interprétation de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie n’est que l’aboutissement, la matérialisation d’une volonté politique affirmée des nouvelles autorités du pays pour lutter contre l’impunité dans tous ses aspects au grand bonheur des victimes et de leurs familles souvent laissées à eux-mêmes par l’élite dirigeante à la suite de crises politiques chaotiques.
Par ailleurs, on peut légitimement se demander si, aujourd’hui, le recours à l’amnistie n’est pas en voie d’être contesté en raison d’une revendication accrue de l’égalité de tous devant la loi, et de la place accordée à la victime dans le droit pénal sénégalais. C’est dire tout simplement que l’amnistie, bien qu’elle s’emploie « à aplanir les reliefs de la vie politique voire à pacifier le climat de tension », peut en effet faire figure d’anomalie démocratique.
Et c’est la raison pour laquelle, au nom de la nécessité impérieuse de lutter contre l’impunité sous toutes ses formes, de la fondamentalité et de la sacralité du droit à la vie et de la protection de la dignité humaine, consacrés et garantis, à la fois, par les instruments internationaux, régionaux et nationaux de promotion et de protection des droits de l’homme pour tous, nous trouvons totalement opportun cette loi n° 05/2025 portant interprétation de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie qui permettrait, pour notre part, avec l’apport du juge dans son rôle prétorien, d’avoir un net aperçu des faits survenus entre février 2021 et février 2024 tant au Sénégal qu’à l’étranger.
Par Hamidou CAMARA
Assistant juridique du Groupe AGORA de Recherche pour l’Éducation aux Droits de l’Enfant et à la Paix « GRA-REDEP »
Bonjour Monsieur Camara, en tant qu’étudiant en science politique, je m’interroge sur un point fondamental :
L’amnistie est souvent présentée comme un outil de pacification, mais ne risque-t-elle pas, dans certains cas, de devenir une arme politique permettant d’effacer les responsabilités des dirigeants tout en privant les victimes de leur droit à la justice ? Dans le contexte sénégalais, comment garantir que cette loi d’interprétation ne crée pas un précédent dangereux où chaque régime pourrait ajuster la portée de l’amnistie selon ses intérêts ? Merci beaucoup