Aux divers rôles qu’assume l’État depuis longtemps s’est ajouté récemment, qu’on le veuille ou non, celui de régulateur de l’économie. Inspirés par des doctrines interventionnistes, de nombreux gouvernements tentent, en effet, de stabiliser l’activité économique tout en cherchant à accroître la production des biens et services (ou inversement) et, dans plusieurs cas, en visant une répartition moins inégale de ces biens et services. L’objectif de stabilité dans la croissance (ou inversement) est le cœur de la politique économique des gouvernements, et cet objectif, en pratique, encadre une quantité de choix qui influencent les décisions concernant les autres politiques.
Pour comprendre les décisions de politique budgétaire, comme de nombreuses autres décisions gouvernementales, il faut par conséquent tenir compte des choix de politique économique, lesquels sont souvent fort controversés.
Comme celles que suscitent la plupart des décisions gouvernementales, les controverses soulevées par les choix de politique économique découlent surtout à la fois des interprétations divergentes de la réalité, qui reste mal connue, et des volontés contradictoires exprimées par les diverses catégories d’intérêts qui s’opposent au sein de la société.
En matière de politique économique, les débats engendrés par les intérêts conflictuels prennent souvent la forme d’une confrontation entre les adeptes de la neutralité ou de la non-intervention de l’État et leurs adversaires favorables à l’intervention gouvernementale, ou encore la forme d’une querelle entre interventionnistes de diverses tendances. À cet égard, les affrontements portent non seulement sur la nature des interventions, mais aussi sur leur ampleur, leur orientation et leur mise en œuvre. De plus, appliquées aux moyens budgétaires de la politique économique, les controverses touchent aussi bien les répartitions budgétaires que le montant de l’écart entre les dépenses et les revenus (le surplus, l’équilibre ou le déficit) et aussi bien le montant total des dépenses que la façon de les couvrir. Compte tenu de l’importance des dépenses et des revenus des gouvernements, la politique budgétaire constitue un moyen privilégié pour réaliser les objectifs de la politique économique.
Le budget constitue l’expression privilégiée de la politique mise en œuvre par les Etats. Il détermine les grandes orientations des politiques publiques relatives notamment à l’activité économique et à la redistribution du revenu national.
Le budget est présenté par Paul Leroy-Beaulieu comme « un état de prévoyance des recettes et des dépenses pendant une période déterminée ».
Caroline SELMER définit le budget comme un ensemble cohérent d’hypothèses et de données chiffrées prévisionnelles, fixées avant le début de l’exercice comptable décrivant l’ensemble de l’activité ».
Pour Georges LANGLOIS un budget est « l’expression quantitative du programme d’actions proposés par la direction. Il contribue à la coordination et à l’exécution de ce programme, il en couvre les aspects tant financiers que non financiers, et tient lieu feuilles de route pour l’entreprise ».
Toutes ces propositions de définition du budget aboutissent à la conception suivante: le budget est l’expression économique des plans d’actions pour l’année a venir afin d’allouer les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.
Divers rôles sont attribués au budget. Anthony résume les finalités du budget et du processus de préparation budgétaire en cinq points (Anthony 1988):
- motiver les managers à dresser des plans ;
- informer les managers de ce qui est attendu d’eux ;
- obtenir un engagement des managers ;
- coordonner les différentes activités d’une organisation ;
- fournir un standard pour juger la performance réelle.
De manière plus complète, on peut dire que le budget est présenté comme un moyen d’évaluer la performance des managers, de motiver les responsables opérationnels, de communiquer entre les différents niveaux hiérarchiques, de déployer la stratégie, de prévoir les besoins financiers, de gérer les risques, de coordonner et de piloter les différentes activités de l’entreprise, d’autoriser les dépenses, d’allouer les ressources et de communiquer avec les acteurs externes, actionnaires, créanciers… (Ekholm et Wallin 2000 ; Gignon-Marconnet 2000, 2003 ; Bouquin 2006).
Dans sa dimension politique, le budget est un enjeu central de la démocratisation. Il constitue un instrument essentiel du contrôle par le Parlement des activités du gouvernement.
Il est aussi un moyen pour les organisations de la société civile de surveiller et de contrôler la pertinence de l’usage des ressources publiques par rapport aux demandes sociales. Dès lors, la promotion d’une plus grande transparence et participation sur les questions budgétaires est une exigence de la réalisation démocratique.
En raison des liens historiques entre la France et ses anciennes colonies, les systèmes budgétaires africains sont très fortement imprégnés par le modèle français. Lors de leur accession à l’indépendance, la plupart des Etats africains francophones ont hérité des normes françaises de finances publiques. L’ordonnance française du 2 janvier 1959 portant sur les finances publiques a été et reste une source majeure de référence qui structure les règles et les pratiques institutionnelles en Afrique. Les législations françaises et francophones se caractérisent donc par un important mimétisme formel, parfois à la virgule près.
Le premier budget marocain dans l’acceptation moderne du terme remonte à 1913, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas un embryon de gestion financière antérieurement à cette date. C’est sous le règne de Moulay Slimane (1792-1822) que fut constitué le corps des oumanas placé sous les ordres de l’Amin El Oumana qui remplissait le rôle d’un véritable Ministre des Finances. A cet effet, il recevait des rapports de l’Amin des rentrées, chargé de la perception des recettes, de l’Amin des sorties, chargé de l’exécution des dépenses et de l’Amin des comptes, chargé du contrôle de la comptabilité transmise par les différents oumanas. Les états fournis étaient remis au Sultan, lequel les communiquait à la béniqua qui faisait office de Cour des Comptes.
En fait, il y avait trois entités distinctes :
- Bit el mal el mouslimine, alimenté à partir des ressources à caractère religieux, particulièrement la zakat et l’achour ;
- Le trésor du dar adyel qui recevait le produit des melks, constitués de contributions administratives n’ayant aucun caractère religieux ;
- Le trésor du Sultan, alimenté essentiellement par les dons faits au Sultan.
A la fin du siècle dernier, le Maroc faisait l’objet de convoitises de la part des puissances coloniales européennes. Sous prétexte du contrôle de la dette, ces puissances ont commencé dès 1904 à intervenir dans les finances du pays pour le compte des porteurs des titres de l’emprunt émis cette année-là. Elles se sont ainsi arrogé le pouvoir de percevoir directement certaines recettes telles que le produit des douanes, les droits de porte et des marchés des ports de la côte afin de s’assurer du service normal de la dette. Par la suite, des actions directes furent entreprises par la France. Au fur et à mesure de l’avance des troupes d’occupation française, l’autorité militaire se préoccupait de la perception des recettes y compris celles à caractère religieux, et à l’exécution des dépenses dans les zones soumises à leur contrôle ; dès 1907 pour la région de Oujda et dès 1908 pour celle de Chaouia.
Le premier budget d’ensemble a été établi en 1910 et se limitait à la région de Chaouia. Le système a, par la suite, été étendu à la région de Meknès en décembre 1912, à Rabat, Fès et Marrakech en janvier 1913 et au territoire du Tadla en juillet 1913. La Direction Général des Finances, mise en place en juillet 1912, et dont les premiers services créés furent ceux du Budget général de l’Empire Chérifien pour l’année 1913-1914. Ce budget a consisté dans le regroupement des prévisions de recettes et de dépenses concernant respectivement le Maroc oriental, le Maroc occidental et la dette auxquelles ont été ajoutées les prévisions de dépenses des services administratifs centraux.
- En dépenses à 613.322 francs, et
- En recettes à649.024 francs.
Il serait intéressant de signaler que c’est à partir de 1933 seulement que l’année budgétaire s’est stabilisée sur une longue période (jusqu’en 1995) en restant alignée sur l’année calendaire.
Le fondement juridique de la préparation et de l’adoption de la loi de finances est posé par les textes suivants :
- les articles 49, 92, de la Constitution de 2011 portant respectivement sur la délibération des orientations générales du projet de loi de finances en Conseil des Ministres et de la délibération du projet de loi de finances en Conseil du Gouvernement ;
- les articles 68, 75, 77 de la Constitution définissant les conditions procédurales légales régissant le vote de la loi de finances par le parlement;
- loi organique n° 130-13 du 2 juin 2015relative à la loi de finances (LOF) qui définit l’objet et le contenu de la loi de finances, ses règles de présentation, ses modalités de vote ainsi que certaines règles d’exécution de cette loi;
- le décret n° 2-15-426 du 15 juillet 2015 relatif à l’élaboration et à l’exécution des lois de finances qui comporte les dispositions relatives à la préparation de la loi de finances et aux modalités de son application qui sont à la charge du Gouvernement ;
- le décret n° 2-17-607 du 30 rabii I 1439 (19 décembre 2017) modifiant et complétant le décret n° 2-15-426 du 28 ramadan 1436 (15 juillet 2015) relatif à l’élaboration et à l’exécution des lois de finances ;
- le décret n° 2-22-580 du 10 chaabane 1444 (3 mars 2023) relatif à la mise en place du dispositif de contrôle de gestion au sein des départements ministériels.
La prise de décision budgétaire relève d’un processus à la fois technique et politique, évidemment complexe, qui fait intervenir un très grand nombre d’acteurs ayant chacun une logique et des objectifs qui leurs sont propres. Ce processus est le produit d’une évolution des sociétés contemporaines qui évoluent dans le sens d’une démultiplication des relations en leur sein et par conséquent d’une complexification des relations qui ne cesse de s’accroitre.
Face à cette situation nouvelle qui s’est forgée tout au long de ces dernières années, les procédures d’élaboration et d’adoption des lois de finances ont progressivement évolué dans le sens d’une association des acteurs politiques, administratives, voire sociaux.
L’initiative de la préparation du budget demeure entre les mains du gouvernement selon un schéma identique à ce que prévoyait la LOF de 1998. Comme l’indique l’article 46 de la LOF, l’exécutif conserve le monopole de la préparation de la loi de finances, même si la LOF a tenté de renforcer le rôle du Parlement en matière budgétaire.
La compétence exclusive de l’exécutif résulte ensuite de l’article 46 de la LOF qui prévoit que « sous, l’autorité du chef du Gouvernement, le ministre chargé des finances prépare les projets de loi de finances conformément aux orientations générales ayant fait l’objet de délibérations au Conseil des ministres conformément à l’article 49 de la Constitution ».
La loi de finances de l’année est élaborée par référence à la programmation budgétaire triennale. Ainsi, le processus de préparation du projet de loi de finances de l’année englobe les étapes suivantes :
- Avant le 15 mars, le Chef du gouvernement invite par circulaire, les ordonnateurs à établir leurs propositions de programmations budgétaires triennales assorties d’objectifs et d’indicateurs de performance ;
- Avant le 15 avril, les départements ministériels et institutions transmettent, au ministère chargé des finances, les propositions de programmations budgétaires triennales se rapportant à leurs budgets, aux budgets des services de l’Etat gérés de manière autonome qui leur sont rattachés et aux comptes d’affectation spéciale dont ils sont ordonnateurs ;
- Avant le 15 mai, lesdites propositions sont examinées en commissions de programmation et de performance ;
- Avant le 15 juillet, le ministre chargé des finances expose, en Conseil du gouvernement, l’état d’avancement de l’exécution de la loi de finances en cours et présente la programmation triennale des ressources et des charges de l’Etat ainsi que les grandes lignes du projet de loi de finances de l’année suivante ;
- avant le 31 juillet, le ministre chargé des finances expose devant les commissions des finances du Parlement, le cadre général de préparation du projet de loi de finances de l’année suivante. Cet exposé comporte aussi l’évolution de l’économie nationale, l’état d’avancement de l’exécution de la loi de finances en cours à la date du 30 juin, les données relatives à la politique économique et financière et la programmation budgétaire triennale globale ;
- Invitation, par circulaire du Chef du gouvernement, des ordonnateurs à établir leurs propositions de recettes et de dépenses pour l’année budgétaire suivante;
- Septembre-début octobre: Centralisation et examen des propositions des départements ministériels en particulier en ce qui concerne les recettes, les dépenses, les projets de performance dans le cadre des commissions budgétaires et montage du projet de loi de finances et des documents qui l’accompagnent;
- Début octobre: Suivi de l’adoption des orientations générales du projet de loi de finances de l’année au conseil des ministres et ensuite au conseil du gouvernement ;
- Au plus tard le 20 octobre de l’année budgétaire en cours : dépôt du projet de loi de finances de l’année au bureau de la chambre des représentants ;
- Les 30 jours suivants le dépôt du projet : La Chambre des représentants se prononce sur le projet de loi de finances de l’année ;
- Les 22 jours suivants le vote du projet par la chambre des représentants ou l’expiration du délai imparti : le Gouvernement saisit la Chambre des conseillers qui se prononce sur le projet ;
- Les 6 jours suivants le vote du projet par la chambre des conseillers ou l’expiration du délai imparti : Adoption finale du projet de loi de finances par la chambre des représentants dans le cadre de la deuxième lecture ;
- Si au 31 décembre, la loi de finances de l’année n’est pas votée ou n’est pas promulguée, le gouvernement ouvre, par décret, les crédits nécessaires à la marche des services publics et à l’exercice de leur mission, en fonction des propositions budgétaires soumises à approbation. Dans ce cas, les recettes continuent à être perçues conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur les concernant à l’exception, toutefois, des recettes dont la suppression est proposée dans le projet de loi de finances. Quant à celles pour lesquelles ledit projet prévoit une diminution de taux, elles seront perçues au nouveau taux proposé.
Par Mamadou Lamine GUEYE
Juriste / Doctorant en Economie appliquée
Mamanawa45@gmail.com
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