L’année 2024 est très électorale au Sénégal, à la clé, deux élections. Les urnes ont exprimé une forte volonté de changement à tous les niveaux de notre gouvernance. Ce qui implique en outre pour les nouvelles autorités l’adoption de nouvelles lois, dans beaucoup de secteurs, pour amorcer de grandes rénovations, comme le souhaitent les électeurs sénégalais.
Lors de la déclaration de politique générale du Premier Ministre le 27 décembre 2024, de nombreuses réformes législatives ont été annoncées. Cette volonté politique se voit presque à la lecture des communiqués du conseil des ministres. Un travail hardi est entamé pour changer de paradigmes sur beaucoup de questions relatives à la gouvernance. Au chapitre de ces réformes, nous pouvons évoquer entre autres, le projet de loi sur la souveraineté économique ou bien encore la réforme visant le code de la sécurité sociale.
Ceci étant dit, il est donc évident que les nouvelles autorités ont la volonté d’impulser des dynamiques de changement dans tous les domaines, afin d’atteindre un véritable progrès, le développement. Rappelons à ce sujet, les propos de Monsieur Malick DIENG dans son ouvrage intitulé Politique de protection sociale de l’enfance : « toute perspective de développement économique et social ignorant « le facteur enfant » » s’apparente à de l’utopie ». L’auteur souligne que l’enfant doit être au cœur de tout projet de société. Les bases d’un avenir plus juste et plus durable sont posées, dès lors que l’enfance est intégrée dans les différentes réflexions et actions menées par les pouvoirs publics.
Fort de cette évidence, nous avons jugé opportun de mettre en exergue des éléments plausibles qui entrent dans le cadre d’une prise en compte efficiente de l’enfance. Ainsi, avec la 15ème législature installée le 02 décembre 2024, il est nécessaire de mener une réflexion dans le sens d’une législation nationale plus protectrice des enfants au Sénégal.
En effet, le Sénégal dispose d’un cadre légal protecteur des droits de l’enfant. A la faveur de la ratification des instruments juridiques internationaux de protection des droits de l’enfant, notamment la convention internationale des droits de l’enfant et la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, l’Etat s’est inscrit dans une logique d’internalisation des grands principes développés par ces traités. Par contre, un tel cadre doit être évolutif en prenant en compte les défis contemporains en la matière qui se présentent. Le droit international, dans le cadre duquel ces traités ont été ratifiés, se caractérise surtout dans sa relation avec le droit interne, par sa nature dynamique, comme l’illustre cette affirmation de l’avocat franco-britannique Philippe SANDS : «l’incorporation du droit international dans l’ordre juridique interne est un processus complexe et souvent conflictuel, qui varie d’un État à l’autre et dans le temps ».
Ainsi, les défis d’ordre législatif se posent, dans la mesure où la protection de l’enfance exige de nos jours, de nouvelles lois pour parfaire le dispositif national. C’est à cet égard que nous avons choisi trois projets de loi dans ce domaine qui participeront à la consolidation des droits de cette couche vulnérable. Il s’agit du code de l’enfant, du défenseur des enfants et de la loi portant statut des daaras.
Le code de l’enfant
C’est en 2006 que le comité d’experts des nations unies sur les droits de l’enfant a exprimé à la délégation sénégalaise la nécessité d’élaborer un code de l’enfant. Bien avant cela, les organisations de la société civile en la matière ont exprimé le souhait de voir le Sénégal adopter la loi portant code de l’enfant. C’est dire donc, que ce débat n’est pas nouveau. Autrement dit, bien avant la Stratégie Nationale de Protection de l’Enfance qui en fait un objectif, notamment dans son deuxième plan d’action triennal, les acteurs en faveur de l’enfance ont eu la clairvoyance d’inviter les autorités à l’adoption de ce code.
Il est évident qu’au plan institutionnel, le souhait de voir le Sénégal disposer d’un code de l’enfant a toujours été formulé. C’est dans ce même registre, que le nouveau parlement doit mettre parmi ses priorités son vote, au grand bonheur des enfants et des professionnels du secteur. En effet, le code de l’enfant permettra de rassembler les dispositions législatives relatives à la protection de l’enfant. Prenons à cet effet l’exemple de la France, qui depuis 2016, a une loi similaire : la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant ou encore la loi Meunier. Bien qu’elle ne porte pas explicitement le nom de code de l’enfant, c’est une norme qui clarifie les différentes dispositions législatives et réglementaires relatives à l’enfance, offrant ainsi un cadre juridique clair protégeant les mineurs. Au-delà, c’est un instrument juridique qui peut garantir le respect des droits fondamentaux des enfants.
Le Sénégal gagnerait à l’adopter, surtout que l’exécutif a toujours été au cœur du processus d’élaboration. La trouvaille dans cette mouvance serait peut-être l’implication des députés, qui ont la possibilité de faire des propositions de loi. A rappeler qu’en France, c’est une sénatrice, du nom de Michelle MEUNIER qui était à la base de la loi de 2016 susmentionnée. L’autre pan de ce processus c’est surtout le dialogue et la sensibilisation. En réalité, si aujourd’hui l’on tarde à voir une telle norme, c’est parce qu’on note un certain décalage entre des dispositions du projet de loi portant code de l’enfant et des réalités religieuses et culturelles. D’ailleurs, c’est la réponse fournie par la délégation sénégalaise lors du passage en janvier 2024 devant le comité des droits de l’enfant de l’ONU . Evoquant l’inexistence d’un code de l’enfant, elle déclare : «Certains éléments de cette réforme pouvant heurter les opinions, le Gouvernement mise sur le dialogue avec les acteurs religieux et culturels pour trouver des consensus et faciliter ainsi l’application subséquente des textes. Cette démarche explique le retard apporté dans l’adoption du code de l’enfant, a indiqué la délégation ».
Pour ce faire, il est crucial actuellement de conjuguer les efforts de l’exécutif et du parlement pour engager des discussions saines et constructives avec les leaders religieux et coutumiers du Sénégal, dans le but d’atteindre un consensus qui mènera au vote de la loi portant code de l’enfant.
Ce même procédé s’avère nécessaire quant au vote de la loi portant défenseur de l’enfant.
Le défenseur des enfants
A l’instar du code de l’enfant, le défenseur des enfants est une recommandation du comité d’experts des droits de l’enfant de l’ONU. Il n’a pas encore vu le jour malgré le travail collégial entrepris depuis des années. C’est une institution qui sera attentive à la mise en œuvre des dispositions des traités ratifiés par le Sénégal en faveur des enfants.
Prenons l’exemple de la France pour avoir idée claire du rôle du défenseur de l’enfant. Elle a institué cet organe en 2000. Mais, en 2009, il a connu une suppression par le gouvernement français, avant de renaitre de ses cendres en 2011. Le défenseur des enfants est nommé pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Dans l’optique d’assurer son indépendance il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l’expiration de son mandat. Au titre de ses attributions, il peut, entre autres mener des enquêtes sur des situations qui portent atteinte aux droits des enfants et il peut aussi saisir les autorités judiciaires en charge de la protection des enfants. Il bénéficie au surplus d’un pouvoir de recommandation. A cet effet, il peut adresser des recommandations aux autorités publiques ainsi qu’aux institutions privées intervenant dans la protection des droits des mineurs.
Tout compte fait la loi portant défenseur de l’enfant n’a pas encore vu le jour. Pourtant des initiatives allant dans ce sens ont toujours été portées par la CAPE, avec l’appui de structures étatiques comme non-étatiques. A cette fin, un groupe restreint a été mis sur pied, composé de l’Assemblée Nationale, du représentant du Médiateur de la République, du Ministère de la Famille, de la CONAFE (Coalition Nationale des Associations et ONG en faveur de l’Enfant), de l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance) ainsi que de la CAPE (Cellule d’appui à la Protection de l’Enfance).
C’est le lieu de redynamiser ce travail afin d’accéder à la naissance d’un organe administratif autonome pour la protection des droits des enfants.
Dans cette même dynamique de protection d’ordre législatif, il est essentiel de se pencher sur le projet de loi portant statut des daaras.
La loi portant statut des daaras
C’est une norme tout à fait particulière s’adressant à une cible spécifique : les apprenants des écoles coraniques. En effet, la mendicité impliquant des enfants talibés est un phénomène accru au Sénégal. C’est un volet important du projet de loi en question. Par ailleurs, il aura l’ambition de réglementer un domaine laissé à lui-même depuis des décennies. C’est une manière donc de rectifier une discrimination en adoptant la loi portant statut des daaras. A l’image de l’éducation nationale qui a un encadrement juridique avec la loi n°1991/22 du 16 février 1991 portant loi d’Orientation de l’Éducation nationale, l’enseignement coranique doit être régulé du point de vue légal. C’est ce que les autorités sénégalaises ont bien compris. Ainsi, l’enjeu devient double : d’une part une telle législation participera concrètement à la lutte contre la mendicité impliquant les talibés et d’autre part, elle permettra à l’Etat d’avoir une mainmise sur cette forme d’éducation, admise d’ailleurs par la constitution et la loi de 1991 précitée.
Malgré son adoption en conseil des ministres le 06 juin 2018, cette norme aussi importante en matière de protection de l’enfance n’est pas encore inscrite dans l’ordonnancement juridique du Sénégal.
A ce niveau aussi il faut des efforts mutualisés de l’exécutif et du parlement, en vue de voter ce projet de loi. Le préalable étant la sensibilisation des associations des maitres coraniques et des leaders religieux du pays.
En somme, nous pensons que la nouvelle législature doit davantage s’engager en faveur de la protection des droits de l’enfant. En d’autres termes, mis à part la volonté politique de l’exécutif, il sied maintenant de voir une assemblée nationale plus impliquée dans la protection de l’enfance. Cela passera bien évidemment au vote des lois plus protectrices des mineurs : ce qui intègre des initiatives de proposition de loi et l’accompagnement des projets de loi existants.
Par Moustapha SYLLA
Educateur Spécialisé à l’AEMO de Linguère, Ministère de la Justice
Merci Sylla pour cette reflexion riche et pertinente. Il est nécessaire aujourd’hui de mener un dialogue sincère et large afin de voir aboutir le code de l’enfant qui viendra renforcer la défense des enfants qui continuent à être victimes.