Le recours juridictionnel en annulation des actes de l’autorité de régulation de la commande publique. Par Cheikh Mbacké NDIAYE

La directive n° 05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine en son article 11 exige des États membres à ce que les litiges relatifs à la commande publique soient portés devant une autorité composée des membres de l’administration, du secteur privé et de la société civile, reconnus pour leur professionnalisme, leur indépendance et leur représentativité[1].

La loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022[2] modifiant la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême apporte des innovations dans le processus juridictionnel de traitement des litiges relatifs au recours en annulation des actes de l’autorité de régulation de la commande publique en aménageant une procédure dérogatoire aux formes et délais de droit commun du recours pour excès de pouvoir.

Le législateur a simplifié la procédure de saisine de la Cour suprême (I), en se fixant comme objectif la recherche de la célérité dans le traitement juridictionnel des affaires (II).

II. La simplification de la saisine de la Cour suprême

Dans le contentieux de la commande publique, le recours contre les actes des autorités contractantes devant la Cour suprême obéit à un certain formalisme.

La saisine du Comité de Règlement des Différends est une étape obligatoire avant tout recours en annulation de la Cour suprême. Le juge a érigé cette obligation en une formalité substantielle ayant un caractère d’ordre public dont l’inobservation entraine l’irrecevabilité du recours devant la Cour suprême[3] .

Ainsi, au regard des dispositions des article 89 et 90 du Code des Marchés publics relatives à la procédure de contestation de l’attribution provisoire des marchés publics, en la matière, les décisions des autorités contractantes ne peuvent être contestées directement devant la Cour suprême par la voie du recours pour excès de pouvoir[4].

Le Code des Marchés publics prévoit une procédure bien encadrée permettant aux candidats évincés au cours d’une procédure de passation d’un marché d’obtenir du CRD une décision attaquable devant la Cour suprême. Le juge de l’Administration contrôle souvent le respect des délais de saisine de l’autorité de régulation, qui sont brefs et tributaires des délais de réclamation également assez brefs[5].

Il faut rappeler que le délai d’introduction du recours gracieux, qui est ouvert par l’article 86 du Code des Marchés publics, court à compter de la publication de l’avis d’attribution provisoire du marché et non à compter de la connaissance acquise d’une quelconque irrégularité de la part du candidat s’estimant évincé[6]. En l’absence d’une décision favorable, ledit candidat dispose d’un délai de trois jours ouvrables à compter de la réception de la réponse de l’autorité contractante ou de l’expiration du délai de cinq jours, prévu à l’article 86 pour saisir le CRD d’un recours. Ce dernier, conformément à l’article 88 du Code des Marchés publics est tenu d’examiner la recevabilité de la saisine et aux termes des dispositions de l’article 92 du Code des Marchés publics, doit rendre sa décision dans les 07 jours à compter de la réception des pièces de la procédure, sans quoi, la poursuite de la procédure de passation du marché est possible. L’inobservation de ce délai pour statuer expose la décision de suspension de la procédure de passation du marché à la caducité[7].

Seules sont susceptibles de recours devant la Cour suprême les décisions unilatérales du Comité de Règlement des Différends qui font grief.

Faisant application de ces conditions, la Cour suprême a bien circonscrit le périmètre des actes attaquables par la voie du recours pour excès en rappelant qu’une lettre du Directeur général de l’Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP) qui se borne à rappeler le sens d’un avis « qui n’est pas une décision au sens de la loi puisqu’elle ne fait pas grief au requérant et ne modifie en rien l’ordonnancement juridique » n’est pas susceptible de recours pour excès de pouvoir[8]

Il s’induit de cette affaire que les avis du CRD ne sont pas des actes administratifs unilatéraux pouvant être attaqués devant la Cour suprême[9]. Il en est de même d’une lettre par laquelle, le Directeur général de l’ARMP informe le requérant qu’une société concessionnaire n’est pas une autorité contractante au sens du Code des Marchés publics[10].

La saisine de la Cour suprême se fait par « par simple requête enregistrée au greffe de la Cour suprême dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l’acte attaqué »[11].

II. La recherche de la célérité

L’article 74-1 bis. – de la loi organique relative à la Cour suprême dans sa rédaction issue de la loi 2022-16 du 23 mai 2022[12] prévoit que « le recours contre une décision rendue par l’autorité chargée de la régulation de la commande publique est formé par simple requête enregistrée au greffe de la Cour suprême dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l’acte attaqué.

Le recours doit, à peine de déchéance, être signifié à la partie adverse dans les quinze jours suivant le dépôt de la requête.

La partie adverse peut produire un mémoire en défense dans le mois suivant la signification du recours. Passé ce délai, le président de la chambre saisie fixe, immédiatement, la date à laquelle l’affaire sera portée à l’audience ».

La simplicité et la célérité dans la mise en œuvre des procédures de traitement des affaires relatives à la commande publique devant la Cour suprême, tel qu’il résulte des exigences de l’UEMOA, sont mises en avant. La directive n° 05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine en son article 12 demande aux États membres d’adopter dans leur ordre juridique national une procédure permettant que « les décisions de l’autorité de recours non juridictionnel puisse faire l’objet d’un recours à bref délai »[13]. A cet effet, le législateur sénégalais à travers l’article 92 du décret portant Code des Marchés publics[14] permet aux candidats qui s’estiment évincés de saisir la Cour suprême d’un recours en annulation contre les décisions du Comité de Règlement des Différends (CRD) de l’Autorité de Régulation des Marchés public (ARMP)[15].

Seulement, avec la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017[16] abrogeant et remplaçant la loi n° 2008-35 du 08 août 2008[17] sur la Cour suprême, les recours dirigés contre les décisions du Comité de Règlement des Différends de l’Autorité de Régulation de la Commande publique étaient examinés par les juges à la Haute Juridiction, en application de l’article 74-1 de la loi organique[18], suivant les formes et les délais de droit commun applicables aux recours pour excès de pouvoir[19].

Or, eu égard à l’objet de la commande publique, cette pratique dont la légalité ne faisait pas douter, n’était pas si adaptée au processus de traitement des litiges y afférents[20].

Conscient de cette insuffisance et prenant en compte exigences fixées par la directive communautaire n° 05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine en son article 12, le législateur sénégalais a adopté la loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022 modifiant la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême qui en son article 74-1 bis, a institué « un bref délai  pour les recours en annulation des actes des organes de régulation des marchés publics »[21].

Il faut rappeler, comme le fait remarquer fort bien un praticien, que « l’article 80 al 4, de la loi organique dans sa rédaction de 2017 prévoit simplement que la Cour suprême peut, sur sa propre initiative, en l’absence de toute urgence, prononcer la suspension de tout marché public que lui transmet le Représentant de l’État aux fins d’annulation. Un tel pouvoir du juge n’est possible que si l’examen des moyens invoqués laisse apparaître une violation grave et manifeste des dispositions du Code des marchés publics »[22].

Au demeurant, en plus de cette procédure, le législateur a « institué un juge des référés en matière administrative.

Il statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais.

Est juge des référés, le premier président de la Cour suprême ou le magistrat qu’il désigne à cet effet.

Le juge des référés est saisi par simple requête enregistrée au greffe de la Cour suprême.

La requête doit, à peine de déchéance, être signifiée à la partie adverse dans les quinze jours suivant son dépôt au greffe.

Dans les cas qui requièrent célérité, le premier président ou le juge qu’il désigne, peut, par ordonnance rendue sur requête, autoriser la signification à bref délai et fixer la date à laquelle l’affaire sera débattue »[23].

Le législateur, avec les modifications apportées à loi organique relative à la Cour suprême, a mis à la disposition des requérants qui veulent faire annuler par le juge les décisions de l’organe de régulation des marchés publics, en lieu et place des formes et délais de droit commun applicables aux recours pour excès de pouvoir, des procédures plus adaptées à la célérité qui prévaut dans le domaine de la commande publique. Ce faisant, il prend ainsi en compte les exigences de la directive n° 05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine.

Par Cheikh Mbacké NDIAYE

Docteur en droit public

Magistrat, Membre du Service d’Études et de Documentation

du Conseil constitutionnel du Sénégal

 

[1]Directive n°05/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005.

[2]JORS n°7531, 167ème année, du Mardi 23 mai 2022, p.571.

[3] CS, Arrêt 42 du 08 juin 2017.

[4]Ibid.

[5]A. NDIAYE, « Panorama de la jurisprudence de chambre administrative », Cour suprême, Service de Documentation et d’Études, Bulletin d’Information, N°9-10, février 2017, p. 97.

[6] CS, arrêt N°47 du 10 décembre 2009.

[7]CS, Arrêt N° 37 du 14 juin 2018.

[8]CS, Arrêt n° 22 du 24 mars 2016

[9]Voir M. DJITTE, La régulation des marchés publics. Analyse de la jurisprudence de la Cour suprême du Sénégal de 2020 à 2021, CERCP, pp. 60-63.

[10]CS, Arrêt N°05 du 28 février 2019.

[11]Article 74-1 de la loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022, JORS n°7531, 167ème année, du Mardi 23 mai 2022, p.571.

[12]JORS n°7531, 167ème année, du Mardi 23 mai 2022, pp.575-576.

[13]Ibid.

[14]Décret n° 2014 -1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics.

[15]La loi n°2022-07 du 19 avril 2022, modifiant la loi n° 65-61 du 19 juillet 1965 portant Code des Obligations de l’Administration en son article 30, prévoit la dissolution de l’ARMP et la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante dénommée Autorité de Régulation de la Commande publique (ARCOP), bénéficiant d’une autonomie administrative et financière. L’ARCOP est compétente dans le traitement du contentieux né de la préparation, de l’attribution et de l’exécution des marchés publics et des contrats de partenariat public-privé. L’ARCOP mène aussi des missions d’audit et d’enquête dans le cadre de la commande publique.  Voir JORS n° 7517, 167ème année, du Vendredi 22 avril 2022, p.368.

[16] JORS, n° Spécial 6989 du 18 janvier 2017, p. 17.

[17] JORS, n° Spécial du 08 août 2008, p. 755.

[18] Voir Textes fondamentaux de la République du Sénégal, Dakar, L’Harmattan, 2021, pp.522-523.

[19] I. SOW, La fonction judiciaire dans les systèmes communautaires de l’UEMOA et de la CEDEAO, Dakar, L’Harmattan, CREDILA, 2021, p. 87.

[20] Ibid.

[21] JORS n°7531, 167ème année, du Mardi 23 mai 2022, p.575.

[22] Voir O. GAYE, « Le référé devant la Cour suprême ».

[23] Article 83 de la loi organique JORS n°7531, 167ème année, du Mardi 23 mai 2022, p.575.

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