Vers la création d’une autorité de centralisation de la commande publique au Sénégal ? Par Pathé DIALLO

Après 100 jours à la tête du pays, le Président de la République du Sénégal, S.E Bassirou Diomaye FAYE, a accordé une interview à la presse nationale, le samedi 13 juillet 2024. L’objectif de ce briefing était double : premièrement, faire le point sur les premières mesures « d’urgence » mises en place et en second lieu, sensibiliser les Sénégalais sur les perspectives qui se dessinent pour l’avenir.

Pour renforcer la confiance des citoyens et des partenaires internationaux, tout en favorisant un développement économique plus durable et équilibré, le Président a orienté ses actions vers une rationalisation des dépenses publiques. Pour en arriver là, il s’est d’abord tourné vers la commande publique, qui attire notre attention dans le cadre de cette modeste contribution.

La commande publique est un terme générique qui désigne l’ensemble des contrats passés par les personnes publiques pour satisfaire leurs besoins en matière de travaux, de fournitures et de services (services courants et prestations intellectuelles) ou des besoins qui combinent ces différentes catégories. C’est une notion globalisante qui renvoie littéralement à un ordre de l’administration par lequel il est, entre autres, demandé à un fournisseur la livraison d’une marchandise ou l’exécution d’un service. Elle est une notion très large englobant plusieurs formes de « contrats publics » tels que les marchés publics régis par les règles du Code des marchés publics, les délégations de services publics, et les contrats de partenariat, soumis aux dispositions de la loi relative aux contrats de partenariat public-privé.

Le Président de la République souhaite ainsi une centralisation de la commande publique pour réduire le train de vie des services étatiques, et, par conséquent rationaliser les dépenses publiques.

La centralisation de la commande publique, qu’est-ce que c’est ?

La présente étude se fixe pour objectif d’apporter des éléments de réponse ou un début de réponses à cette interrogation particulièrement importante.

De façon générale, la centralisation de la commande publique peut être entendue comme un processus par lequel les achats et les approvisionnements nécessaires à diverses entités gouvernementales sont regroupés et gérés de manière centralisée, plutôt que d’être décentralisés, comme c’est le cas présentement, où chaque autorité contractante effectue isolément ses propres achats.

Plus spécifiquement, la centralisation de la commande, telle que discutée par le Président sénégalais Bassirou Diomaye FAYE, semble plutôt renvoyer à un processus où les achats publics sont regroupés (ou centralisés) au niveau d’une autorité ou d’une entité spécifique plutôt que d’être dispersés entre plusieurs entités publiques.

Serait-il important de centraliser la commande publique ?

La mise en œuvre de cette mesure pourrait considérablement réduire les coûts, souvent exorbitants, des dépenses engagées pour répondre aux besoins en fournitures, travaux ou services.

Concrètement, plutôt que de laisser chaque entité ou département d’une organisation ou d’une administration publique passer des commandes séparées, toutes les commandes sont consolidées et gérées par une seule entité centrale.

Cette centralisation pourrait se faire par niveau. En effet, chaque ministère peut centraliser les achats de ses différents services. Cela peut avoir plusieurs avantages, notamment :

– Économiques : La centralisation de la commande publique peut permettre de réaliser des économies d’échelle en négociant des prix plus avantageux avec les fournisseurs grâce à des volumes plus importants. Une économie d’échelle se produit lorsque les coûts unitaires de production ou d’approvisionnement diminuent à mesure que la quantité produite ou achetée augmente.

– Logistiques : En simplifiant la gestion des stocks et des fournisseurs et en regroupant les achats, l’entité centrale peut mieux coordonner les flux de matériaux et de produits. Cela réduit les délais d’approvisionnement et minimise les interruptions potentielles dans les opérations, assurant ainsi une continuité plus fluide dans la chaîne d’approvisionnement en réduisant les coûts de transport. En effet, les étapes telles que la réception, le stockage et la distribution peuvent être mieux synchronisées et gérées de manière uniforme, réduisant ainsi les erreurs et les inefficacités.

– Administratifs : En centralisant la commande publique, il est possible de standardiser et de simplifier les procédures d’approvisionnement et d’achat à travers des méthodes communes et des plateformes unifiées. Cela réduit la complexité administrative et les coûts liés à la gestion des appels d’offres multiples.

Outre ces avantages non exhaustifs susmentionnés, en centralisant certains achats sensibles, tels que les équipements de défense, les infrastructures critiques ou les services essentiels, le gouvernement peut renforcer la sécurité nationale et garantir une meilleure souveraineté sur certaines technologies et infrastructures stratégiques.

Cependant, pour une mise en œuvre effective de la centralisation de la commande publique au Sénégal et éviter en même temps de subir les effets du revers de la médaille, il faut nécessairement relever un certain nombre de défis potentiels notamment :

– Bureaucratie accrue : Bien que la centralisation puisse améliorer la transparence et la gestion des fonds publics, elle peut entraîner une bureaucratie plus lourde et des délais plus longs dans le processus d’approbation des commandes publiques, ce qui pourrait ralentir les projets.

– Problème de flexibilité : Les procédures centralisées peuvent manquer de flexibilité pour répondre de manière agile aux besoins spécifiques et urgents des différentes régions ou entités administratives du pays.

– Concentration du pouvoir décisionnel : La centralisation peut entraîner une concentration excessive de pouvoirs décisionnels entre les mains d’un nombre limité d’acteurs, ce qui peut, potentiellement favoriser la corruption ou le favoritisme. Ce qui est très problématique. Elle comporte également des risques en termes de réduction de la diversité des fournisseurs et des approches, d’où la nécessité d’une gestion prudente et de mécanismes de contrôle adéquats.

En somme, la centralisation de la commande publique présente à la fois des avantages potentiels en termes d’efficacité économique et de transparence, tout en posant des défis liés à la diversité des besoins locaux et à l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) aux marchés publics. En effet, une approche hybride, combinant centralisation pour certains achats et décentralisation pour d’autres, peut parfois offrir un compromis optimal. Afin de maximiser les bénéfices tout en minimisant les inconvénients, une approche équilibrée qui combine centralisation pour les économies d’échelle et décentralisation pour la proximité et l’innovation semble être la voie à suivre.

Cela nécessite une réflexion continue, des ajustements stratégiques et une collaboration étroite entre les différents niveaux administratifs et les acteurs économiques pour garantir une utilisation efficace et équitable des fonds publics.

Par Pathé DIALLO

Maitre en Droit Public, option Administration Publique

 Email : patheacca1212@gmail.com

11 Commentaires

  1. Mamadou KA

    Le contenu est d’une pertinence incommensurable,..
    Très bien inspiré de la part de maître Diallo. En La commende publique permettra de mieux rationaliser les dépenses publiques et de bien contrôler les recettes de l’état.
    C’est de ce genre nouveau intellectuelle l’Afrique à besoin de nos jours et ceci doit inspiré des autorités publiques .
    Merci merci Diallo pour ces enseignements

    Réponse
  2. Sabaly Ibrahima

    Une analyse pertinente et concise. En effet, comme vous l’avez relever la centralisation de la commande publique comporte des avantages et des inconvénients.
    Par contre, ce qui me paraît plus adéquate c’est de mettre en place une stratégie qui permettra à la fois la rationalisation des dépenses publiques et la rapidité des sevices. Car centralisée la commande publique reviendrait à rétrécir voir diminuer le nombre d’acteurs intervenant dans le domaine. Et par ricochet, de supprimer des postes de travail. Serait-il opportun de gagner de l’argent en créant un autre problème lié au chômage ?
    Une question que les autorités publiques devraient se poser avant toute action. Ainsi, la centralisation pour une meilleure rationalisation des dépenses publiques semble être une parole vêtue d’un caractère de parole captatio benevolentiae si l’on connaît les moyens requis pour rendre la commande publique malgré les techniques de rationalisation déjà essayées sans pour autant oublier le manque de rigueur constant des acteurs y intervenant. À notre humble avis, miser sur une exécution rapide et efficace du service, serait mieux qu’une centralisation créant une hypertrophie des dossiers et une carences de personnel sans oublier l’augmentation du temps de réaction comme vous l’avez souligné.

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  3. Elimane Thioub

    Merci beaucoup pour ta contribution généreuse et inspirante Maître Diallo !

    Votre dévouement et votre engagement envers le Cénacle des Publicistes sont vraiment admirables. Ensemble, grâce à des contributions comme la vôtre, nous continuerons à grandir et à nous soutenir mutuellement.

    À tous les membres du Cénacle des Publicistes, continuons à partager nos idées, à inspirer et à innover.
    Chaque voix compte, et chaque effort nous rapproche de nos objectifs communs.

    Restons unis et motivés !

    Réponse
    • khadim kebe

      Tres intéressant mais le mal se trouve dans l’affection des PME et des TPE qui y voyaient pourtant leurs comptes.seulement je pense que l’Etat gagnerait à renforcer la marge de manœuvre de l’ARCOP afin de défendre ses intérêts.

      Réponse
      • BA AMADOU

        Peut-être que je ne suis pas bien placé pour contribuer vu que ce n’est pas mon domaine, mais je vous assure que les écrits du grand Pathé méritent une lecture attentive car elles ont forcément quelques choses d’important.
        Yoo diam Allah doumo ee maa

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      • Yaya Deme

        Mon cher Pathé Diallo, merci pour cette brillante contribution, manière d’apporter votre grain de sel à la marche du pays. C’est ce genre de juriste qu’à besoin le pays. Des juristes qui mettent leur savoir au service du pays et non en des moments d’élections ou des interprétations d’articles tel ou tel, passent toute la journée sur les écrans télévisés à attiser le feu,

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  4. Gueye

    Maître Pathé,
    Très intéressant

    Réponse
    • Yamina

      Merci beaucoup Maître Pathé Diallo pour cette contribution limpide et très intéressante . Un Altruiste qui est toujours aux services des Étudiants de la FSJP. Le Sénégal a la carence des jeunes comme vous , qui s’engage de façon saine et respectueuse mais aussi qui inspire d’autres jeunes

      Réponse
  5. Ndiengoudy ba

    C’est très intéressant. Simple à comprendre, et riche en enseignements.

    Réponse
  6. Ndiaye

    Je salue la dimension scientifique couronnée prodigieusement de science de monsieur Pathé Diallo. Scientifiquement ce texte est non seulement riche en connaissance mais également elle est , du reste, d’une clarté intellectuelle considérable et notable . Merci pour cette contribution à vocation pédagogique Maître Diallo et par ailleurs, coordonnateur général du CÉNACLE DES PUBLICISTES DE L’UCAD

    Réponse
  7. Ibrahima Dieng

    Le contenu est riche à ces termes. La centralisation est une bonne option pour le bon fonctionnement des différents secteurs de l’Etat. Elle permettra de régulariser loss ressources et les charges de l’Etat, ainsi défaire face aux déficits budgétaires.

    Réponse

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